01-08-2020
Vanoise
2600
TD
2j
1

"T'a essayé de taper dessus?".

Nous sommes un vendredi soir, sur une aire d'autoroute proche de Chambery. La voiture est arrêtée, et deux Gaulois dépités assistent à ce qui ressemble à un but avant même d'avoir engagé les hostilités. Depuis le dernier péage traversé, la fenêtre conducteur est bloquée en position ouverte. ça rends le trajet pénible, mais surtout compromet la suite du programme : entre les affaires et le vélo qui occupent une bonne partie de l'habitacle, et les orages violents annoncés dans le weekend, impossible de la laisser la voiture en l'état sur une parking en montagne. Il faut faire quelque chose, mais quoi? Suspectant d'abord un fusible, on a été acheter une pince à la station service. Une fois le changement opéré, rien. On tente de remonter de force la fenêtre, mais elle est trop intégrée dans la portière. Alors on a essayé de démonter le cache intérieur pour accéder à la vitre. Là aussi, c'est un échec. Après plus d'une heure à luter, on s'apprête à rentrer à Lyon, dépité par ce but. Olivier insiste une dernière fois "non mais t'a essayé de taper dessus?" Il donne un fort coup sur le bouton. Appuie dessus. "Vvvvvvvvvvvv" fait le bruit de la vitre qui remonte.

"..."

Et voici deux Gaulois heureux qui reprennent la route des Alpes!

Vendredi soir, Pralognan, Vanoise.

Avec ce contre temps, nous arrivons à la nuit au parking du roc de la pèche. On avait prévu de s’arrêter acheter de quoi manger à Pralo, mais il est trop tard. On se contentera de ce que l'on a sous la main. Heureusement, le programme du soir était un bivouac au parking, au moins de ce point de vu là, on est bon! Le parking est bien occupé par de nombreux camions et camping-car, mais on trouve une jolie place dans l'herbe proche du ruisseau. La nuit qui s'écoule est calme et agréable.

Samedi - Pointe de l'observatoire - "Trop tard Babar!"

"Romain, Romain? On avait bien dit 5h hein?" Il est 5h20, je n'ai pas entendu mon réveil sonner. Rapidement, on se lève et on prépare les affaires. Les premières lueurs du jour pointent à peine leur nez, et pourtant de nombreux quads et 4x4 passent derrière nous, montant vers les alpages. à 6h, on se mets en route. L'approche se déroule paisiblement, d'abord sur un large chemin carrossable où on double plusieurs tentes, puis on rentre dans le parc de la Vanoise et bifurquons sur un sentier qui monte en zigzagant au milieu des broussailles. Plus haut, on rejoint un alpages très mignon. A cet endroit, on quitte le sentier et visons un petit collu plus haut. Première difficulté, un torrent qu'il nous faut traverser. Le gué est sous l'eau, alors on cherche un passage en amont. C'est plus étroit, mais plus raide et le débit est trop fort. Olivier suggère qu'on passe "à l'ancienne", chaussures autour du coup. "Attends, je vais voir en aval si ça peu passer, au pire je taperais dessus". 10mn plus tard, nous voici de l'autre côté!

Au collu, nous dérangeons des chamois qui s'imaginaient tranquilles. Ils fuient après s'être retrouvés nez à nez avec nous, nous offrant un aperçu de la nature sauvage qui occupe les lieux. Au dessus, notre objectif : la Pointe de l'observatoire, un petit 3000 qui s'atteint aisément par un sentier de randonnée depuis le col d'Aussois. C'est un objectif familial et très parcouru, sur le bord du chemin du tour des glaciers de la Vanoise. Mais de là où nous sommes, il parait plus massif. De belles dalles forment une sacrée muraille, et son arête ouest se détache sur le ciel avec deux beau ressaut, dont l'un forme une magnifique flèche. On contourne la base de la pointe, et remontons jusqu'à l'attaque de notre voie. Une cordée nous a devancée, et est dans la 2nd longueur. On s'équipe, on prends notre temps, et zou, c'est parti!

La voie nous promet 10 longueurs, continues dans le 5c/6a, avec quelques pointes de 6a+. La grimpe y est très jolie, avec de vrais problèmes de dalle, beaucoup d'adhérences, pieds et mains a la fois! Le rocher est assez compact, mais est globalement constitué de feuillets qui peuvent s'avérer un peu croustillants dans certaines longueurs. Il faut mieux bien poser ses mains à plat plutôt que de tenter de tirer sur de petites réglettes fragiles. L4 offre une superbe traversée. Olivier la tente un peu haut et se retrouve en difficulté, J'opte pour une version plus basse, et ça s'avère un tirage gagnant. L5 est notre premier 6a+, et tabasse dès le relais, heureusement bien équipé avec point de renvoi proche. C'est très fin, il faut ventouser pour se hisser lentement, délicatement jusque plus haut. Le second 6a+, en L7, s'avère le crux de la voie. la longueur est entièrement dans cette cotation, un bon 35/40m de dalle où on ne trouve que peu de repos pour souffler. Il faut être efficace dans la lecture et rester concentré jusqu'en haut! A ce moment là, Olivier n'est pas très bien. On soupçonne l'eau prise au refuge du roc de la pèche de l'avoir mis en vrac. Je lui aurait bien taper dessus, mais cette option n'obtient étonnamment que dédain ...

On continue la voie. On aperçoit le sommet de la pointe, et des randonneurs qui nous observent. L'avant dernière longueur "un bon 6a", s'avère assez costaude, avec une belle fissure que l'on remonte en dülfer, avec rien pour les pieds. Finalement, Olivier nous sort en haut de la voie, 50m sous le sommet de la pointe sur une petite ligne de crête où passe le sentier. Les pieds sont démolis par toutes ces adhérences, alors on rechausse les grosses et on se hisse au sommet pour profiter de la vue. Pas mal de nuages sur les sommets, mais c'est toujours agréable. Reste encore 1h de descente jusqu'au refuge de Fond d'Aussois. A peine s'est on installé sur la terrasse, que voilà la pluie, la grêle et l'orage qui gronde!

Très familial, le refuge occupé notamment par deux grands groupes accompagnés d'enfants en bas âge, avec tout le bruit que ça implique. On craint pour notre nuit, qui devrait être relativement courte : la météo du lendemain est mitigée, avec seule la matinée annoncée bonne avant des orages dans l'après midi, alors on opte pour un réveil à 5h. Mais le gardien nous offre le salut "si ça vous dérange pas, je vous installe dans l'ancien refuge, 100m en contrebas sur le sentier. Vous serez au calme comme ça!" "Si ça nous dérange? MAIS C'EST MERVEILLEUX!"

Dimanche - Pointe de l'observatoire - "Trop belle pour toi"

Ce fut la nuit la plus agréable que j'ai passé dans un refuge depuis bien longtemps. Mais déjà, il faut se lever et repartir. Petit déjeuner de luxe, avec des muffins aux pralines (!!!), et on file au petit jour. La pluie a cessée tôt dans la nuit, et si c'est bien détrempée, les rochers que l'on aperçoit nous laissent espérer une voie sèche. En un peu plus d'une heure, nous sommes au col. Un ligne de deux rappels, situés entre la pointe de l'observatoire et la cime des planètes permet de rejoindre le pied des voies. On trouve facilement le relais sur la crète, et je m'élance le premier. Je descend prudemment, car le topo parle d'un rappel de 50m tout juste. C'est la longueur de nos cordes. Je descend, franchi plusieurs ressaut, et j'arrive bout de corde. Aucune trace de relais ... J'explore la face d'un côté, de l'autre, mais rien. Sur ma droite, un ressaut vertical et au dessus des dalles. Je devine à sa base une vire herbeuse, qui me semblerait propice au placement d'un relais. Il n'est pas dans l'axe, et de nombreux obstacles risquent de coincer la corde, mais je n'ai pas mieux. Alors je remonte de 8m sur la corde, franchis le ressaut et descend de l'autre côté. Mais là encore, rien. Je veu sauter le ressaut pour revenir à mon point de départ, mais la corde en se tendant se coince sur la dalle. Je me retrouve dans une posture désagréable : tanké dans les nœuds en bout de corde, mes pieds sont à 20cm du sol. Au dessus de moi la lèvre du rocher est à 1,5 ou 2 mètres.

"Putentrailles, me voilà pendu comme un saucisson!"

J'amorce une remontée sur corde, mais je ne suis pas à l'aise dans cette situation : j'ai peur que la corde se détende d'un coup, se décoince et m'envoie valser dans un pendule au travers de la face. Cette pensée m'accapare l'esprit, alors je remonte prudemment, lentement, mais surement et en multipliant les fusibles pour que, si pendule il doit y avoir, mon machard ne se retrouve pas sectionné par la lèvre. Finalement, après bien des effort, je parvient à me rétablir, décoincer la corde et revenir dans une position plus confortable. Nous parvenons à communiquer avec Olivier, il me propose de me mouliner sur les 50m de remontée au relais. Je me ré-encorde donc, et m'apprête à remonter là haut. Putain, un but parce-que je ne trouve pas ce satané relais, je ne peu y croire. Je tente une dernière fois d'explorer les abords, m'éloigne loin en lattéral. Las, je tape sur le rocher d'énervement. Et HOP, c'est comme ça que l'on fait apparaître un relais! Il était là, sous mes yeux, mais en gris sur gris, il m'avait échappé. Il faut dire qu'il est désaxé de 10 bons mètres en latéral. Et en 15mn, nous sommes en bas. On a bien perdu 1h dans la manœuvre, on était en avance, maintenant nous voici à la bourre!

On avait initialement imaginé faire "Le bal du cosmos" à la Cîme des planètes, mais la voie a beau sembler peu soutenue, elle est longue et déjà, le ciel se couvre. Alors on opte pour un plan B repéré la veille : "Trop belle pour toi", la voie la plus facile de la pointe de l'observatoire. 11 longueurs de dalles en 4+, avec quelques longueurs en 5/5+ dans le lot. A ce niveau de difficulté, on est joueur, alors on part corde tendue, bien décidé à filer comme des flèches vers le sommet. On a 16 dégaines, 18 si on ajoute les sangles. De quoi faire deux longueurs. J'avance, ça a beau être du 4+, c'est des pas de dalles parfois un peu fin, alors on avance prudemment. on file, je laisse passer un relais, puis un second, puis un troisième ... ça va vite, et sans crier gare, me voici au milieu d'une dalle soudain pas si simple! On s'assure avec les moyens du bord, et au relais suivant, je m'arête. En fait de 2 longueurs, c'est 4 longueurs que l'on vient de parcourir, jusqu'à se faire cueillir dans un 5a. 5a qui m'a paru bien fin par ailleurs. Et dire qu'on a fait ça avec 16 dégaines, et sans sauter tant de points que ça ... Je vous ai dit que j'équipement était ... aéré? On se ré-encorde normalement, pour passer une longueur de 5b. Puis, de nouveau, corde tendue! c'est facile, on file on file, mais un tirage monstre vient me casser les pattes. Bordel, en plus c'est super fin pour du 4! Je tire 2m de corde, les garde en main, progresse de ces 2m, tente de me stabiliser plus ou moins en adhérence, et rebelote. J'aurais peut être du essayer de taper dessus. J'arrive enfin à un relais après avoir posé mon dernier mousqueton. Après étude du topo, rebelotte: on a loupé un relais et enchainé 4 longueurs jusqu'à un 5b. La suite se fera en tirant des longueurs : une longueur en 5c (le pas est circonscrit à un point, équipé d'une chasse d'eau (car oui, on quitte la dalle par ressaut court mais raide). Une micro longueur d'un point (!!!) pour se placer à cheval sur l'arête et faire coucou aux randonneurs 30m plus haut. Et une dernière longueur très jolie sur le fil, le soleil dans les yeux.

Nous voici au sommet, on regarde la montre: 2h15 pour grimper ça. ça aide de courir corde tendue! Il est tôt, on est bien là haut et le ciel est plus si menaçant. On gonfle l'égo en expliquant aux randonneurs ébahis d'où on vient. Une vague impression des les escroquer tant 11 longueurs de 4+ ne paraissent pas mériter leurs félicitations. Puis c'est le long chemin du retour. On double beaucoup de monde, on s'arête contempler un jeune bouquetin qui creuse au milieu du sentier, et peu avant 15h, nous arrivons à la voiture! Une bien belle journée, placé sous le signe de l'efficacité et du holdup météo ( l'orage arrivera un peu plus tard, et il ne fait pas rêver!)

Voici donc deux très jolie voie: à choisir on conseillera plutôt Trop tard Babar, qui est très belle, propose de jolis pas soutenus mais bien protégés dans ce beau cadre. Trop belle pour toi nous a semblé équipée bien trop aérée: une cordée limite dans le niveau se mettra terreur, et une cordée avec la marge nécessaire ferait mieux d'aller chercher la difficulté dans Babar! Par contre, ça sort au sommet et ça reste plutôt joli. Il nous faudra revenir pour la Cîme des planètes, ou pour l'arête Ouest de l'Observatoire qui semble offrir un très joli parcours.

Et puis, concluons par ce petit dicton: "Si le sort te résiste, tape dessus bien fort, même si ça fera pas de toi un alpiniste, ni même un cador"