24-10-2021
Ecrins
TD
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Le panneau barre la route, au niveau de Champhorent. "Travaux, accès interdit jusqu'au 5 novembre". On s'y attendait, alors on se gare le long des maisons. Restera 5km à marcher sur le bitume, à ajouter à la pénible montée au refuge. Mais alors qu'on commence à sortir nos affaires, un riverain passe la tête depuis sa terrasse. "Vous allez à la Bérarde ? Si vous redescendez dimanche soir vous pouvez y aller, la route passe". Premier bingo du weekend, et ce ne sera pas le dernier !

Les couleurs de l'automne sont magnifiques dans la vallée, les bouleaux et autres feuillus tirent joliment vers le doré, quand les conifères gardent leur robe vert sombre habituel. L'herbe dans les pentes est de rouille, et les face nord sont joliment poudrée. Le tableau automnal est ravissant. C'est au soleil mourant de la fin d'après-midi que l'on remonte le chemin jusqu'au Soreiller. Le chemin est magnifique mais toujours aussi pénible pour les mollets. La sortie du canyon est l'occasion de pousser un "waow" admiratif lorsque l'on redécouvre la sublime Dibona. En cette saison, on l'imaginait emmitouflée dans la neige, on la découvre en petite tenue estivale. Bikini, chapeau et lunettes de soleil en forme de cœur. Deuxième bingo.

Le refuge n'est plus gardé. Mais une agréable chaleur nous accueille lorsqu'on en passe la porte. À l'étage, il y a de la place dans le dortoir et de nombreuses couvertures : on a bienfait de s'alléger de nos duvets. Dans la salle commune, la nuit tombe et les réchauds tournent au max. Chaque groupe prépare sa tambouille. Ici un guide et sa cliente, qui prévoient la voie des Savoyards. Là, un père et ses deux enfants, qui partiront dans la Madier. Un groupe de jeunes, en partance pour la voie normale. Personne pour Visite Obligatoire ? Vraiment ? Troisième bingo.

Longue nuit calme, et voici qu'au lever du jour nous arrivons à l'attaque. Il ne fait pas trop froid, mais le soleil n'a pas encore atteint la base de la face. Alors on garde quelques couches avant de se lancer dans la voie. La première longueur nous surprend salement à froid. Un petit ressaut raide qui épuise les bras trop vite, je suis sec à la seconde dégaine. Il parait que c'est un bon moyen de juger la teneur de la journée : ça risque d'être long alors ! Ensuite, une dalle plus facile, bien qu'équipée de manière aérée. Il faut faire confiance à son instinct car les points ne sont pas toujours bien visibles. Puis, dans la seconde longueur, peu après 9h, le soleil descend sur nous et vient nous réchauffer les doigts et les orteils. ça y est, il fait bon et on profite d'un R2 confort pour faire tomber une couche et sortir les lunettes noires. Quatrième bingo.

L3 est plus verticale, obligeant à prendre pied sur une large rampe au dessus du vide, puis à aller de fissures en fissures pour trouver son chemin. Le style est différent des deux premières longueurs, mais la grimpe est très agréable et le rocher irréprochable. De L4, on surplombe le guide dans la voie des Savoyards, en pleine traversée dans une face qui semble immense, quand pour nous c'est une trav' qui enchaine sur un surplomb. Des pas physiques mais pas si dur, à condition d'en garder sous le pied. L5, des fissures très rondes et vraiment pas très prisu. L'enchainement après les ressauts de L4 me font puiser dans le mental là où les muscles peinent à me porter. C'est une sensation qui va nous suivre jusqu'au sommet, dans cette voie soutenue où l'obligatoire, ce n'est pas la visite, c'est les mouv' ! Puis, L6 et L7 nous amènent facilement à la vire Boell, où nous rejoignons notre sympathique famille en vadrouille. On n’est pas à la bourre, il fait bon, on prend 5 minutes pour boire un coup, manger un biscuit et parfaire notre bronzage. Cinquième Bingo.

Sur la vire Boell, on hésite sur la ligne à suivre. Après une étude attentive du topo Cambon et une confrontation à ses ennemis de C2C, c'est le topo C2C qui rafle la mise en nous amenant sur la bonne ligne : il ne faut pas se jeter sur cette une fissure dorée, dont la beauté attire autant que sa raideur ne repousse, mais s'engouffrer dans le couloir à l'Est de la face, le remonter sur quelques mètres avant de repartir dans le raide pour rejoindre un relais qui surplombe la vire. Voici L8, de belles écailles crochetantes des pieds fuyants, qui mobilisent autant les bras du grimpeurs que les oreilles de l'assureur, effrayé par les soufflements et les jurons qui lui parviennent de l'autre bout de la corde. En haut, on se rétablie sur une plateforme. On est sorti de la face, voici maintenant une succession de dalles et de ressauts sur le fil de l'arête sud. On a peur de se retrouver coincé derrière l'autre cordée, mais une erreur d'itinéraire les fait arriver après nous. Sixième bingo.

L9 en deux belles fissures parallèles, une dans chaque main, une sous chaque pied. Puis L10, encore une jolie dalle et quelques pas techniques. L11, deux petits pas de blocs, un plein gaz au-dessus de la face ouest pour sentir le souffle du vent, l'autre encore sur des écailles crochetantes pour sentir chaque fibre des biceps éclater dans les bras. Enfin, L12 offre la facile mais mythique fissure sommitale de la Dibona qui vient nous y poser. Où ça? Bah au sommet tiens !  Septième bingo, et le plus beau !

Pas un bruit, pas un chat, quel luxe d'être seuls là-haut. La vue est dégagée et nous savourons l'instant. On pourrait rester là des heures, mais on pense quand même à redescendre. L'arête nord est à l'ombre, et ici seulement il y a un peu de neige. Celle-ci est dure et glissante, mais heureusement les relais sont dégagés. Deux rappels et une traversée facile nous amènent à la brèche des clochetons. Puis une descente au sec dans les pierriers, on repasse au refuge avant de prendre le large, direction Lyon. Nous arrivons à la voiture aux dernières lueurs du jours, après une journée longue mais qui ne nous aura offert que du bonheur. S'offrir une voie aussi classique, habituellement si parcourue, en ayant eu et des conditions de rêve et une luxueuse solitude, et pouvoir s'en vanter auprès des copains : voici le dernier bingo, et pas des moindres !