28-03-2021
Ecrins
2200
1500
3600
F
9h
Delphine en taxi
1

Jamais deux sans trois

En ce magnifique dimanche de printemps, j’arrive péniblement à convaincre mon Nico de trainer ses spatules jusqu’au sommet de l’Agneau Blanc. 2 places sont libres dans la voiture d’une copine, qui doit aller à Briançon acheter un VTT et qui me permettra de ne pas culpabiliser quant à tous ces km pour une seule course. Tout est prévu, organisé au cordeau, mais un mal de dos soudain l’empêchera au dernier moment de nous accompagner. C’est donc en vue d’une nouvelle journée tous les 2, en toute intimité, que nous nous couchons au Monêtier-les-Bains. Mon Nico, il veut bien monter aux Agneaux, mais sans transpirer ni mettre de réveil, et à cette époque en partant du Casset, c’est compliqué ; la séance de négociations débouche sur un départ du parking à 6h30, avec un lever de soleil à 7h22, c’est un peu juste, mais je n’aurai pas mieux.

Qui dort dine

Dédé, ravie, nous fait le taxi au pont du Casset, la neige est déjà là, mais loin du style parfait Gaulois, on fait du Romain aux Contamines, en chaussant puis déchaussant 2/3 fois les skis jusqu’au pont suivant. La « montée » est longue jusqu’au lac de la Douche, d’où le Davin nous apparait peu tracé. La suite reste très inefficace, de vagues pentes entrecoupées d’innombrables replats nous amènent finalement à la moraine issue du glacier du Réou d’Arsine. Ces kilomètres donnent vite très faim, malgré une nuit de sommeil tout à fait raisonnable. Je me réjouis d’ailleurs secrètement de la fainéantise de mon Nico-lève-tard, lorsque je vois au loin 2 skieurs nous faire la trace dans les 10 à 30 cm de neige fraiche. La montée au col à 3261 se fait donc en douceur, et nous y rejoignons le couple de Savoyards traceurs que nous remercions chaleureusement.

Dans le doute, abstiens toi

Gloups, la redescente sur le glacier du Casset fait assez peu rêver. 50° bien tassés orientés SE, à 11h du matin, de la soupe posée sur des caillasses pourries, 60m de couloir à tendance goulottante ; je pense à mon Nico qui actuellement évacue les 300g de pâtes de la veille, et qui pourrait bien réitérer l’opération en voyant ce qui l’attend. Nos compères traceurs ont une corde de 30m, ça tombe bien, nous aussi, et de même diamètre. Ni une ni deux, je ne m’abstiens pas du tout et leur propose un petit rappel sur un beau becquet, qui nous fera gagner la moitié du couloir, et nous permettra de désescalader la fin sereinement. Nous filons pendant qu’ils mettent leurs crampons, pour ne pas créer de file d’attente au rappel, décision amèrement regrettée lorsqu’il faut chausser les crampons dans la pente sur un petit bout de rocher. Nico s’obstine et part sans, décision affreusement regrettée lorsqu’il doit chausser ses crampons dans la pente sans même un petit bout de rocher. Il s’en sort et nous arrivons tous les 4 sur le glacier du Casset, entiers, en retard, en transpirant.

Les bons comptes font les bons amis

Le choix est fait de ne pas s’encorder ; le glacier est assez sain sur sa partie haute, et nous sommes fin mars tout de même ! Nico semblant peu volontaire pour porter la corde, je soupçonne un brin de timidité et la lui offre généreusement pour le dernier quart de l’ascension. Un élément du binôme Savoyard commençant à fatiguer, nous partons devant et rapidement Nico fait le trou. Ecœuré, j’adopte une stratégie qui commence à être habituelle avec ce forcené ; je me résigne à trainer la patte derrière en admirant sa chevelure Messnerienne. Tant pis pour les comptes, il portera bien sa part de la corde, très amicalement, mais je n’aurai pas fait la trace plus de 100m. La montée se fait bien jusque 3400m, mais le dernier coup de cul, sur un départ de plaque à vent, bien travaillé par ce dernier, nécessitera les crampons pour ma part. Ces 200m interminables clôturent une magnifique ascension, mi-longue, mi-variée, et re-mi-longue derrière quand même.

On est ce que l’on mange

Le panorama au sommet de l’Agneau Blanc est somptueux. Ce n’est que lors des derniers mètres que se dévoilent les Ecrins, la Meije, toutes les faces nord du Glacier Noir, et qu’on devine ma petite madeleine de Proust qu’est Ailefroide. Derrière nous, aiguilles d’Arves, Mont Blanc, et à peu près tout ce que l’on peut imaginer, c’est vraiment un point de vue exceptionnel. Après en avoir pris plein les mirettes, nous laissons place au sommet à nos camarades du jour pour aller chausser plus bas. Les crocos de la victoire sont évidemment de sortie, nous les enfournons à la pelle, mais seul l’amour de Nico pour la sieste pourrait éventuellement suggérer une vague ressemblance. Tant pis.

Qui veut aller loin, ménage sa monture

« Clic. CLAC. ». Le ski aval est mis. « Clic. … … ». Tiens, ma talonnière est 5cm derrière ma chaussure, c’est marrant ça. Tiens, une vis de réglage a disparu, l’autre est bien dévissée, ça explique la talonnière qui se balade d’avant en arrière sur son rail sans aucune résistance. Tiens, nous sommes 2 beaux abrutis qui n’avons chacun pas d’outil. Tous les scénarios défilent dans ma tête, de la descente à pied, à celle en luge-skis, en passant par l’hélico. Aucune n’est satisfaisante. Il serait vraiment temps que je me force à mettre un coup de tournevis de temps en temps, et que je surveille mon matos aussi bien que la cuisson de mes pâtes. Mes sauveurs sont de Bourg St Maurice, ils n’ont pas d’outil mais une clé 6 pans pour piolet qu’ils sortent du chapeau. Je parviens vaguement à resserrer ma seule vis restante (qui a une tête Torx…), la fixe semble à peu près… fixée, et ils me proposent même de garder la clé au cas ou il faille resserrer pendant la descente. “You have saved our lives. We are eternally grateful”.

L’occasion fait le laron

Les premiers virages sont très timides de mon côté, c’est raide, je m’attends à chaque instant à déchausser brusquement. Mais non, le vague serrage à la clé 6 pans tient bien le coup ! Nous descendons ensuite le glacier jusque 3200m dans des pentes douces sur une neige excellente, et là se pose le choix de rentrer par l’itinéraire de montée, ou de descendre le Davin à vue, beaucoup plus direct et sans remontée. Entre mon niveau à ski et ma fixe pourrie, ce n’est pas du tout une occasion d’y aller, tous les voyants sont au rouge, mais vraiment, quelle flemme de remonter vers le col du Réou d’Arsine en plein cagnard ! Nous forçons le destin et filons vers l’entrée rive gauche du Davin, qui permet à la fois d’éviter le raide bombé de sortie et une petite remontée pour y accéder, et c’est skis à la main tels des vrais freeriders que nous entrons dans le couloir. Comme mon Nico sait que j’ai pris un petit coup sur la tête avec ces histoires de fixe, il mène la danse, ouvrant la voie avec élégance et agilité. Il lit parfaitement le terrain et me fait même une petite terrasse pour chausser.

Tout est bien qui finit bien

Enfin ! Après avoir malmené tout le répertoire des proverbes Français, dont on aura prouvé qu’ils ne sont qu’un ramassis de conneries, en voilà un qui reste parfaitement valable. Le Davin est finalement en conditions délirantes, pour citer mon Nico, avec un remplissage optimal qui lui donne l’air d’une combe à 35 degrés, et des caisses de neige meuble, de la poudre dense qui pardonne tout, des traces juste assez pour ne pas s’inquiéter en terme de nivo, et de la place, de la place pour se gaver, nous avons tous les deux 12 ans et nous venons de trouver la cachette des bonbons à la maison. Grands cris, grandes courbes, jusqu’en bas du couloir et plus loin encore, lorsque la poudreuse froide laisse place à une moquette joueuse au milieu des bébés mélèzes, jusqu’ici épargnés par les coulées mais dont l’absence de parents à proximité ne laisse guerre de doute sur leur avenir. Les derniers mètres sur la route enneigée nous permettent de savourer, avant un confinement généralisé, la réalisation de cette superbe boucle, comme une cerise sur un gros gâteau 2020/21 avec mousse poudreuse, projets croustillants et une décoration à couper le souffle, le tout en abondance.