05-03-2022
Beaufortain
1900
D
1

Enchainer les sorties, se lever tôt tous les weekends, rentrer tard tous les dimanches, un rythme insoutenable auquel il faut parfois savoir déroger. Alors c'est sûr, ce weekend je reste à la maison. Après tout, la neige est dégueu, j'ai plein de jeux de société à faire tourner et il y a des chouettes films au ciné. Et cette grasse-mat' que je vais me faire ! C'est avec un sourire jusqu'aux oreilles que je me cale dans mon canap’. Un coup d'œil au téléphone, ha tiens, un message de François. Un message de François qui ... et merde ... bon bah on annule tout, la grasse mat' ce sera une autre fois ...

Départ de Bron à 5h30. La route se passe sans encombre, en papotage et debrieff de nos derniers weekends. Arrivée au parking au foyer de ski de fond des Pars, en Tarentaise, au dessus d'Aime. Il est tôt, et pourtant déjà pas mal de voitures garées. On s'équipe et on s'élance sur une piste de fond. 100m plus loin, on croise un ancien qui redescend. Il a passé une nuit improvisée dans le refuge de la Balme. "Attention, la neige est très dure ce matin". Son visage en sang nous convainc de prendre son avertissement au sérieux.

Le topo nous a vendu une looooongue remontée de vallon. C'est très joli, mais bien plat tout ça. C'est le camarade qui va être heureux au retour, avec son gros split aux pieds. Il fait frais ce matin dans l'ombre du vallon. Là-haut, les crêtes s'enflamment. C'est une ambiance haute montagne qui nous entoure, assez surprenant par rapport au Beaufortain qu'on connait habituellement. De haut falaises, des faces verticales et même là, au fond, une haute moraine qui marque les vestiges d'un ancien glacier. En remonter l'échine est d'ailleurs l'occasion d'une progression sur le fil, très esthétique. Un peu plus haut, après cette longue approche nous arrivons au pied de notre objectif du jour : le couloir Est de la brèche de Gargan. Une magnifique gorge qui remonte la face entre deux falaises, dont le devers permet de garder la ligne perpétuellement à l'ombre. Depuis le cône, la courbe que forme le tracé nous masque la moitié supérieure. C'est raide, c'est austère !

Personne devant, personne derrière, mais ce n'est pas une raison pour s'endormir. On passe les skis sur le sac et on chausse les crampons. François me fait une trace royale. Les mollets souffrent, et on profite des derniers instants de soleil avant de rejoindre définitivement la fraicheur et l'obscurité. La neige porte bien, et d'une consistance tout à fait correcte. Tant mieux, car toute la montée j'anticipe notre descente. Je visualise tous les obstacles et repère par quel côté il faut contourner les récifs rocheux qui peuplent la seconde moitié de la pente. Souvent, je me retourne et jauge la pente. "bon c'est pas si raide, je peux le faire !" Sur le haut, c'est un peu plus étroit, et surtout la neige y est plus dure. Les dérapages et les virages sautés de nos prédécesseurs ont sculptés de vrais marches.

François m’attend à la brèche. "J'espère que la vue est belle au moins !" "Hoooo oui camarade, hooo oui!" Effectivement, on est servi. À nos pieds s'étends tous le Beaufortain et au milieux trône la Pierra Menta. Que c'est beau. Paysage grandiose, et découverte puisque nous n'avions jamais pu observer la dent depuis ce versant-là. Au col, une large plateforme confortable nous permet de nous équiper sans crainte de laisser échapper un ski. Il n'y a pas de vent, on peut donc profiter d'un peu de répit. François, en véritable hôtesse de l'air, nous fait un topo : "la neige est un peu dure en haut, ça va secouer. Venga venga VEEEENGGGAAAAA" Le cri de ralliement est là, on est boosté à bloc, l'envie d'en découdre, alors c'est parti !

L'entrée dans le couloir se fait prudemment. Beaucoup de dérapage, déclencher les premiers virages n'est pas une mince affaire. François descend le premier et prends rapidement ses aises. De mon côté, je suis plus impressionné, alors je progresse lentement, prudemment. Ça me laisse le temps de prendre des photos et de m'extasier devant la beauté de la ligne, et son caractère résolument alpin. On passe le crux sans encombre, ces récifs qu'il faut contourner par un bord étroit. Puis, la pente se fait plus large, plus rectiligne. Plus important, la neige y est vraiment pas mal. Alors François se lâche un peu plus. Moi, je suis un peu chahuté alors je préfère prudemment rester concentré. Arrivé dans le cône, on croise un groupe qui remonte dans nos traces. "Courage les gars, vous y êtes ... presque." Puis nous voilà au soleil, revenu sur la moraine. Voilà, les 300m et 4.3, c'est validé ! Yeaaahhhaaaa! Accolades et embrassades illustrent notre joie.

On pourrait s'arrêter là, mais on a bien envie de rentabiliser la longue approche. Un très joli col nous fait face au fond du vallon. Il s'agit du col de la Nova, et les jolies pentes qui y mènent sont maintenant en plein soleil. Ça n'a pas l'air trop loin, est-ce qu'on irait pas y chercher la transfo? Allez, on repeaute et c'est parti.

Bon sang ce qu'il fait chaud au soleil. Je regarde mes pieds pour ne pas être aveuglé. Je souffle, la progression n'est pas simple, mes jambes sont lourdes. Je lève la tête : le col me semble toujours aussi loin. Serait-on face à un de ces fameux col "tkt c'est à côté" ? Je le crains ... La suite me donne raison, et mon souffle qui cale de plus en plus. Sur la fin, A chaque conversion c'est un arrêt, je dois me battre contre l'envie de laisser tomber et entamer la descente. Mais on s'arroche avez les dents, et nous voici finalement au col. Là encore, vue magnifique, cette fois-ci jusqu'au Mont Blanc. A nos pieds de jolies combes qui filent dans tous les sens, de ci de là peuplés de petits skieurs. La pause sur un rocher est la bienvenue. On ferait bien une petite sieste, mais il se fait tard. On se sépare pour la première centaine de mètres. Je prends la combe de montée là où François va chercher un large couloir parallèle. On est chacun satisfait de notre choix, même si ici la neige est assez ... changeante. Transfo, croute, moquette et rarement un ou deux virages en vieille poudre.

La combe nous offre quand même une belle descente. Nous voici revenu sur le plat. Surprise, on parvient à garder assez de vitesse pour quasiment tout traverser, je ne pousserais sur les bâtons qu'une cinquantaine de mètres. Puis on rejoint la piste de fond qui nous redépose au parking. Il est 16h30 et celui-ci s'est bien vidé.

Quelle belle journée, quelle belle ligne, quel beau vallon ! On se jure de revenir pour tricoter par ici. La longue approche vaut le coup, tant la suite est belle.