17-04-2022
Vanoise
1400
PD
1

Un samedi matin, en plein Pralognan. Je charge mon sac. Outre les classiques matériels techniques et de sécurité, j'y glisse des vêtements de rechange et une serviette, signes d'un séjour prolongé en refuge. Quelques victuailles aussi, des gâteaux et un saucisson, indispensables pour de longs après-midis. Pour cette même raison, un livre trouve aussi sa place, tant pis pour le poids. Mais le plus important en ce mois d'avril, c'est un précieux chargement, emmitouflé dans un pull pour le protéger des chocs et de la chaleur, et caché délicatement sur le haut du sac. L'escorter sera mon rôle du weekend, il me faudra passer incognito jusqu'aux plus hautes cimes pour accomplir ma mission ...

De son côté, Olivier est prêt et dans les startings blocs. Nous fermons la voiture, et nous nous élançons. Notre pas lourd résonne dans les ruelles de Pralognan. La station vit son dernier weekend d'ouverture, tandis que seuls subsistent quelques raies de neige au milieu d'alpages verdoyants. Nous délaissons les remontées mécaniques qui auraient pu nous faire gagner quelques centaines de mètres, et chaussons les skis sur le bord d'une piste déserte. Cette dernière remonte "dré dans l'pentu", alors nous l'abandonnons pour une autre qui remonte la pente en zig-zag, à l'ombre des sapins. À l'exception d'une large plaque de terre humide, qui nous obligera à un déchaussage, la piste est suffisamment enneigée pour nous permettre d'atteindre rapidement, à défaut de confortablement, le parking d'été. De là, nous continuons de remonter à contre sens. Il y a un peu plus de skieurs, mais la voie est large alors on ne se gêne pas. En haut du domaine, nous nous échappons dans un vallon plus sauvage. Face à nous, un paysage grandiose, et notre objectif du weekend qui se dévoile à nous : la Grande Casse, majestueuse. Nous la contemplons, et en profitons pour repérer tout l'itinéraire. La voie d'ascension par les Grands couloirs est en partie en glace, mais une bande de neige en rive droite permet d'accéder au col, puis au sommet. Les conditions s'annoncent plutôt correctes en ce printemps si sec. Nous montons sous un soleil de plomb qui vient nous brûler, malgré la généreuse couche de crème appliquée. Nous arrivons au refuge Félix Faure tôt dans l'après-midi. La suite sera une longue mais agréable attente faite de lecture et de biture. Coucher tôt et rapidement endormis, malgré des compagnons de chambre assez bruyants. C'est que le lendemain nous promet le meilleur ...

Le départ n'est pas des plus matinal. Il est 7h et il fait déjà jour. Nous nous élançons pourtant parmi les premiers dans la face, juste au pied du refuge. On est doublés par une cordée de 3 qui décide très tôt, et à notre grand étonnement, de passer les skis sur le dos. C'est que le jeu des dégel-regels successifs a transformé le manteau en une belle dalle de béton au relief chaotique. Après avoir passé les premières rampes en équilibre sur les mollets, nous décidons de chausser les couteaux pour plus de sécurité. En contre bas, une longue procession s'étends jusqu'au refuge, au gré des départs plus ou moins tardif. Il faut dire qu'au vu des conditions, le gardien nous a conseillé de ne pas attaquer la descente avant 13h30. Ça laisse le temps de prendre son temps.

Après quelques traversées, et une succession de bosses et de plats, nous arrivons au pied du mur. Une large bande de glace sombre qui nous effraie. Heureusement, une bande de neige permet de passer en rive droite. Nos trois prédécesseurs font de belles marches, il faut dire qu'ils ont fait le choix discutable de continuer l'ascension sans crampons. On préfère les laisser prendre de l'avance, de peur de voir l'un d'eux dévaler la pente vers nous, en mode flipper. Flippant ! Une petite pause bienvenue pour laisser refroidir les cuisses avant de foncer à l'assaut de la pente. Les crampons mordent bien dans la neige, la progression est agréable, malgré l'altitude qui commence à se ressentir dans le rythme, de plus en plus haché. Se retourner offre un plaisir sans cesse renouvelé : le regard survole l'aiguille de la Vanoise et les glaciers éponymes, bute à droite sur les crêtes enneigées du Grand Roc, rebondit jusqu’à la Dent Parrachée et fini par se perdre au loin dans la Lauzière. Nos poursuivants nous doublent, à partir de ce moment-là nous ne serons plus seuls. Quand la pente se couche enfin, on découvre le large col des Grands Couloirs, qui fait le lien endroit la pointe Mathews à notre droite, et le sommet à notre gauche. Le lieu est un immense plateau calme et, exceptionnellement, sans vent.

On rechausse les skis pour le dernier coup de cul. le sommet semble tout proche, mais y accéder est un sacerdoce. je maudit ma condition, avant de me rendre compte que l'on est tous concernés : l'altitude qui nous prends à la gorge. La neige est encore dure et sous le sommet un toboggan dont on devine la fin, dans la vallée 1600 mètres plus bas. Alors on décide de repasser en crampons. Lorsqu'enfin, j'atteins le sommet, Olivier m'y attends déjà depuis quelques minutes. Pas d'ennui pourtant, tant le panorama à 360 est époustouflant. Partout, des sommets et des vallées à nommer. Que c’est beau, la grande classe cette Grande Casse !

Je pose mon sac et, avec une extrême précaution, j'y glisse la main pour examiner le chargement que j'ai patiemment monté jusque-là. Soulagé, tout est intact. Les formes ovoïdes n’ont pas étés écrasées, et le chocolat n’a pas fondu. Me voilà donc qui en sort une collection de petits œufs de pâques, et de les disséminer sur la cime, sous le regard amusé d'Olivier. Mission accomplie ! C'est avec le plus grand des sourire que je boulotte mon œuf à 3850m d'altitude. Pâques au balcon ?

On resterait bien là l'éternité, mais le sommet est étroit et de nombreux prétendants s'avancent l'un derrière l'autre à sa conquête. Pour leur faire de la place, on chausse et on s'élance dans la descente. Le départ se fait tout en crispation, les skis dérapent bruyamment. Impossible d'amorcer un virage, le cerveau bloque toute tentative. On parvient à lancer nos premières courbes qu'une fois au-dessus du col, où nous rejoignons un véritable campement de skieurs, où chacun y va de sa petite pause. Malgré le soleil qui qui tape, la neige est encore dure et il convient d'attendre qu'elle décaille. À 13h30, Un groupe s'élance et disparait à notre vue. On décide de les suivre. On se rends compte rapidement de notre erreur : c'est encore un peu tôt. Nous marquons alors un nouvel arrêt, bien moins confortable. L'attente se fait longue, on regarde la montre. Dix minutes passent, on reprend la descente. Ce n'est toujours pas ça, et nous sommes à présent coincés entre le mur de glace et des pentes de neige qui débouchent dans des rochers. Là encore, la tension est palpable. De dérapage en dérapage, on perd un peu de terrain. Une trajectoire diagonale nous écarte des rochers et nous amène dans une zone moins exposée. Ici, le soleil frappe la neige avec un meilleur angle, ce lui la rend plus meuble. Serait-ce le signal qu’on attendait ? Aller, concentration, un premier virage s'enclenche, puis un second. La chrysalide se transforme en papillon dans un hurlement de plaisir. Quelques jolies paraboles et nous voici au pied du mur, les mollets en feux. Au-dessus de nous, la foule se lance dans la descente. D'ici, on aperçoit la neige qui est meilleur que lors de notre passage : ça se sera joué à 10 minutes.

Parfois moquette, parfois un peu soupe, mais toujours une satisfaction intégrale : la suite de la descente est un parcours sans encombre. Nous suivons l'itinéraire de montée par une succession de rampes en rive droite. Notre cheminement est rythmé d'arrêts pour contempler sans lassitude l'immensité du paysage. Arrivé au pied de la montagne, il nous faut retrouver un peu de force pour une courte mais pénible remontée jusqu'au refuge. L’esprit apaisé, il ne nous reste plus qu’à combler l’après-midi. Vous reprendre bien du chocolat ?