30-04-2022
Préalpes Bernoises
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Traversée de la Bernina du 16 au 20 avril 2022

Une fenêtre météo se dessine. Claude est libre. Nous filons vers la Bernina pour ce 25ième opus sur le Fil de l’Europe. Nous sommes déjà en fin de saison. Tout est fermé en bas, les refuges sont ouverts en haut, la neige manque. Cette traversée part dans la vallée de Flex, longue et peu fréquentée. Ici chariots à cheval et hôtel de luxe réservent seulement des prix « suisses » élevés. Nous choisissons l’option à pied, puis à ski ! Notre première tentative nous mène vers une cascade infranchissable… nous contournons l’obstacle par un détour complexe entre des barres rocheuses. Col à 3100m, belle descente sinueuse, dure montée finale pour atteindre le refuge Marinelli après 1900m de dénivelé et 23 km. Ouf ! J’étais là avec des amis de jeunesse, il y a 40 ans. Est-ce le dénivelé ou l’âge ? Fatigue.

Le lendemain, seuls, nous poursuivons vers le refuge Marco e Rosa à 3700m, accroché à son perchoir au pied du sommet de la Bernina. Neige gelée, beaucoup de glace et de rocher sec, l’étape de la veille est encore présente dans nos muscles. Claude casse un couteau. Il devra cramponner plus souvent et moi, l’assurer pour éviter les risques des crevasses.  Nous n’envisageons pas l’ascension du 4000 dans la foulée, longue, technique et en conditions difficiles. Repos mérité et contemplation. Nous profitons de cette solitude d’altitude, entourés de montagnes et glaciers en majesté. J’imagine la vie difficile des gardiens ici. Tous les accès sont complexes. La voie que nous avons suivie passe par un couloir gelé surmonté d’une via ferrata aux échelles impressionnantes. Toutes les autres voies sont glaciaires, crevassées, « piégeuses » dans le brouillard. L’hélicoptère joue ici son rôle de bonne fée des gardiens.

La suite est un rêve d’alpiniste skieur en suivant des écharpes glaciaires à près de 4000m jusqu’à la traversée du Palu et ses arêtes lumineuses en plein ciel. Nous partons tôt. Le froid et le vent piquent, peut être -15°. Et je casse une fixation ! C’est la première fois de ma vie de skieur. J’envisage des descentes hasardeuses en crampons… fragilité du skieur de montagne ! J’essaie de bloquer ma chaussure à l’aide d’une sangle. Tentatives de descente. Cela semble tenir. Je vais devoir skier à l’ancienne, sans sécurité et tout en légèreté. Nous cheminons à travers des séracs spectaculaires, des langues de glaces entre parois. Vue à 360° sur des hautes montagnes infinies, immenses. La paroi nous oblige à quelques longueurs d’alpinisme mixte pour atteindre l’arête effilée vers le Mont Palu. Je jubile de ces passages techniques à la recherche du meilleur itinéraire. L’engagement participe à l’euphorie de ces hauts lieux. Au sommet, je lis du soulagement et du bonheur dans les yeux de Claude. Nous sommes vraiment sur une autre planète, en haut de l’échelle de la nature. Le vent hurle et nous précipite l’un vers l’autre.

Nous retrouvons la voie classique à la descente, et nombre de skieurs. Cette « normale » du Palu est sérieuse : arête raide et exposée, séracs, crevasses énormes et ponts de neige fragiles. J’évalue les risques conscients ou non, de tous ces pratiquants non encordés et en groupe au milieu des crevasses, montant sous des amas de glace en équilibre ??? Les conditions de la haute montagne changent et la sécheresse accroit les dangers. Nous descendons encordés en ski, zigzaguant entre les énormes trous : une technique épique et bien sportive. Claude me tient en laisse avec mon ski bringuebalant. Il ne reste plus qu’à se laisser glisser dans les grandes pentes du glacier jusqu’au haut des pistes de Diavolezza.

Nous ne dérogeons pas aux règles du Fil de l’Europe et trouvons couloir et plaques enneigés pour rallier le Passo Bernina et ses lacs glacés. Nous faisons ainsi la jonction avec l’hôtel au col : souvenirs de notre randonnée de l’an passé à pied vers l’Autriche et l’Orient. Nous rechaussons, toujours avec ma sangle salvatrice autour du pied.  Et glissons à ski jusqu’à la petite gare d’altitude. Le quai est vide.  Le train s’arrête à notre vue. Des touristes helvètes retraités nous dévisagent comme des extra-terrestres. Nous venons effectivement d’un autre monde.  

Topo: 

Beau temps avec vent du nord, conditions très sèches pour mi-avril, d’où souvent neige gelée, glace et rocher sec, crevasses peu bouchées. Peu de monde sur cet itinéraire, sauf descente du Palu.

J01 Pizzi dei Rizzi en aller retour 1200m de dénivelé, 20 km. Journée de « mise en jambe ». Approche un peu longue, puis belle course. Nous n’avons pas pu rejoindre l’arête terminale, le dernier couloir à l’ouest n’existant plus (pas de neige et escalade compliquée). Super descente en neige de printemps, puis grosse soupe au final.

J02 Sils Maria- Val Flex- Passo Scersen 3100m- Rifugio Marinelli 1900m de dénivelé, 23 km. Etape longue, car nous partons à pied de Sils Maria, le Val Flex n’est desservi que par des chariots à cheval hors de prix. L’accès direct au Passo Scersen ne passe pas (cascade en eau), ce qui nous oblige à un long détour par le sud avec une montée « à trouver » au milieu des barres. Descente belle et tranquille avant la remontée « longuette » à Marinelli.

J03 Rifugio Marinelli – Rifugio Marco e Rosa 3700m 950m de dénivelé, 7km. Approche du refuge Marco et Rosa alpine : couloir raide et gelé, puis via ferrata. Le départ de la via sur des échelles mouvantes, car non fixées à la paroi au dessus du couloir est assez spectaculaire… Nous n’enchainons pas par l’ascension du Piz Bernina en conditions moyennes et qui est une course d’alpi avec quasiment pas de ski cette année. Le temps à venir étant incertain, nous ne prenons pas un jour pour cela, mais cela reste le plus haut sommet et une belle course.

J04 Rifugio Marco e Rosa – Mont Palu – Hotel Diavolezza. 950 m de dénivelé, 15km. Belle et grande course sur glaciers et arêtes. Nous mettons les crampons sur toutes les parties exposées. La traversée Bellavista est magnifique et rare à cette altitude. La face sud du Palu occidental est gelée. Nous faisons 5 longueurs de 30m en neige et mixte (dans l’autre sens, il faut l’aborder un peu plus tard, pour espérer skier une partie). L’arête de la traversée du Palu est exposée et splendide. La descente du Palu présente des énormes ponts de neige et nous skions encordés pour la première partie, d’autant que j’ai cassé une fixation… En montée, je suis surpris que les personnes ne s’encordent pas, car séracs et ponts fragiles ! Après la remontée finale, nuit douillette à Diavolezza qui propose des dortoirs à prix tout à fait correct compte tenu de la prestation des repas.  

J05 Diavolezza – Passo Bernina, 8.5km principalement en descente. D’abord la piste pour nous avant l’ouverture, puis un canyon nous permet du beau ski jusqu’aux lacs gelés du Passo Bernina où nous rejoignons l’hôtel du col d’où le Fil de l’Europe se poursuit. Retour très rapide en train et bus jusqu’au Maloja pass où nous avons laissé notre véhicule.

Au total un bel itinéraire où il faut viser le bon créneau (les refuges n’étaient ouverts cette année qu’au mois d’avril !)

Photos C. Feuillie et F. Faure