11-02-2023
Préalpes Bernoises
1100
1376
2411
PD
5H
Mireille et Bernard C, Bruno C, Patrice B, Richard G
0

Premier jour d’une semaine de ski de randonnée à Kiental, dans les Alpes Bernoises, en Suisse. Il y a très peu de neige, on choisit donc de partir pour le Armighore 2742m, qui est accessible depuis le haut du télésiège, gratuit avec la carte d’hôte. L’avantage est que le départ est à 1400m et qu’il y a 2 sommets de repli possible, l’Armigchnubel 2411m ou le Sattelhore 2375m. Le BERA est à risque 1 en dessous de 2000m et 2 au-dessus.

Le vallon de départ est austère, plein nord. Juste devant nous il y a un groupe de 3 et un skieur seul qui ont pris les premiers sièges comme nous. On suit une piste et vers 1750m on arrive à un premier verrou d’une centaine de mètres de haut. Sur la carte, l’itinéraire passe à droite, versant Est, mais la pente n’est pas engageante car elle a été balayée par une avalanche partie des rochers au-dessus. La trace, très bien faite, avec des plateformes creusées à la pelle à chaque conversion, passe à gauche, versant Nord-Ouest, par une pente à 30° suivie d’une petite traversée pour rejoindre le haut du verrou. Une trace de descente parcoure un petit couloir droit dans la barre en dessous de la traversée. Au-dessus le vallon se poursuit jusqu’à un nouveau ressaut, d’une quinzaine de mètres, qu’on franchit skis sur le sac. On débouche enfin au soleil, dans un paysage de carte postale. La suite est tranquille jusqu’au sommet de l’Armigchnubel, large sommet avec une vue magnifique sur les géants de l’Oberland. Il reste 350m pour l’Armighore mais la face n’est pas engageante du tout et la décision est prise d’en rester là. Le temps de pique-niquer, 2 autres groupes arrivent. La descente est excellente, mais sans sous-couche, bien qu’on soit au dessus de 2100, et les touchettes sont nombreuses. On contourne le premier verrou par la droite par une petite traversée et 2 virages un peu raides, et on poursuit, toujours à l’affut des pierres qui tapissent le vallon. On arrive au niveau du dernier verrou, à 1850m. Patrice cherche si un passage est possible dans un des goulets, je suis 10m au-dessus de la trace de montée. Je traverse une zone avec beaucoup de pierres sous une fine couche de neige fraiche pour accéder à une zone mieux enneigée. Anne est quelques mètres derrière moi.

« C’est pas trop raide ? »

« Non c’est bon, regarde moi ».

C’est sans le moindre doute que j’entame les 4 virages pour rejoindre la trace de montée dans une pente entre 30 et 35°, mais au premier virage la neige se lézarde tout autour de moi « Merde, MERDE, MERDE », « ATTENTION !», Richard vient d’arriver juste sous moi, sur la trace de montée. La présence des barres en dessous ne permet pas de prendre de la vitesse pleine pente, j’essaie de skier et de m’enfuir sur la droite, mais déjà mes skis sont pris sous 20cm de neige et ce n’est plus moi qui décide. Je passe au niveau de Richard qui n’a pas eu le temps de s’enfuir sur la trace qui est peu pentue. Je suis sûr qu’il a été emporté aussi. Je vois arriver le bord de la falaise et l’entrée d’un goulet, j’en ai jusqu’à la taille, puis je ne vois plus rien pris dans un nuage de neige. Ca s’accélère franchement, je suis couché comme dans un toboggan et je sais que la chute va être longue. Un gros choc aux fesses suivi d’une chute verticale et la glissade continue. J’essaie de maintenir les bras devant le visage et j’appréhende le moment où tout va s’arrêter et où je vais me faire ensevelir. Un premier ralentissement, ça redémarre, puis encore une chute de quelques mètres qui me remet debout et enfin tout s’arrête. Je me protège le visage, j’attends les tonnes de neiges qui vont déferler, mais heureusement rien de tout ça. Je suis debout, de la neige jusqu’au torse, il me semble que tout va bien. Le nuage se dissipe. Je regarde autour, où est Richard ? D’un seul coup je vois surgir un avant-bras à une dizaine de mètres. Il est vivant !!!

« Richard ça va ?».

Pas de réponse.

« Je peux pas bouger, les autres vont arriver ».

Toujours rien, il doit avoir la tête sous la neige, d’où je suis-je ne le vois pas bien. Je dégage un peu la neige à la main, j’arrive à quitter mon sac, récupérer ma pelle et commencer à me dégager. Le temps me parait interminable, je hurle « Mais grouillez vous, bordel !» j’ai juste oublié que pour descendre les 100m de dénivelé, les autres ne peuvent pas mettre 23 secondes comme nous. Ca y est Patrice est là, il se précipite vers Richard, n’arrive pas à quitter ses skis dont les fixations sont gelées et c’est à genoux skis aux pieds qu’il commence à dégager la neige, sans avoir pris le temps de sortir sa pelle. Rapidement la neige est trop compacte et il sort sa pelle et continue. En quelques seconde la tête de Richard est dégagée, il respire, il parle, il dit que ça va.

Toute la troupe est maintenant là, les pelles sont sorties, Richard a mal à une jambe, il faut lui enlever les leashs, sans lui faire mal. Pas de mal de dos ? Pas de douleur dans le ventre ?, il relève le buste lentement, puis se met debout. La douleur au mollet est vive mais ne semble être qu’un hématome, peut-être une déchirure. Que faire, il ressent une douleur insupportable chaque fois qu’il pose le pied. On est dans un frigo, le temps de descendre appeler les secours et qu’ils arrivent, se sera long, alors que le télésiège est 300m plus bas avec une bonne piste pour descendre. Le garçon est costaud (et têtu), il veut descendre ! Mireille se fâche gentiment pour lui faire enfiler une doudoune, boire du thé et prendre 2 comprimés de Lamaline. De mon coté j’ai dégagé mes skis et retrouvé mes bâtons.

La descente jusqu’au télésiège se passe pas mal (du moins il ne se plaint pas) et une demi-heure plus tard on est au chalet autour d’une bière.

Richard a juste une déchirure au mollet, il attendra 2 jours pour faire 26km de ski de fond et 3 pour faire une rando de 1000m. Pour moi, un gros bleu au bas du dos et sans doute un gros coup avec un ski sous le genou, mais rien de grave.

Reste à tirer les enseignements de cet accident.

Pour les amoureux des statistiques, voici quelques données issues de la trace GPX.

  • Dénivelé de la chute : 96m
  • Durée : 23s
  • Pente moyenne sur 80m : 40°
  • Vitesse maximale : 54km/h

 

  • Analyse de la situation à Risque : 

 

Rappel des conditions :

  • BERA à risque 1 en dessous de 2000m, risque 2 au dessus, orientation à risque = Nord
  • « Description des dangers » (équivalent Suisse de « Situation avalancheuse typique ») : Des couches fragiles en partie supérieure du manteau neigeux peuvent encore être déclenchées en certains endroits par des personnes. Les endroits dangereux se situent spécialement dans les combes, couloirs et derrière les ruptures de terrain.
  • Altitude du déclenchement 1850m
  • Combe orientée Nord
  • Faible quantité de neige
  • Pas de signaux d’alarme type neige ventée, mais peut-être cachés par la petite couche de neige tombée il y a 8 jours. L’avalanche du coté droit est une purge classique partie des rochers orientés Est. Pas de bruit de « wouf ». Neige stable dans la pente de franchissement du verrou
  • Course fréquentée (traces des jours précédents et 10 autres personnes aujourd’hui)
  • Pente entre 30 et 35° dans la zone de déclenchement
  • Heure 13H38

Le groupe :

Nous étions 9, tous autonomes, dont

  • 1 chef de caravane
  • 2 chefs de course
  • 2 initiateurs alpinisme

Analyse :

Il s’agit d’une situation typique de plaque à vent sur une sous couche fragile. La plaque se situait dans la zone de dépose de la neige par le vent descendant la combe.

La situation et la zone de déclenchement correspondent strictement aux critères de risques du BERA (voir en pièce jointe).

Apparemment, la trace de montée passait juste en dessous de la plaque, le passage de nombreux skieurs n’avait pas entrainé la rupture, tout comme les traces de descente, situées au-dessus, visibles sur la photo.

Pas de rapport avec le réchauffement diurne, la combe est un vrai frigo et la neige y était encore bien poudreuse.

Les feux verts :

  • Le niveau de risque 1 du BERA
  • Le très faible enneigement, même en altitude
  • L’absence de signaux d’alerte
  • La pente faible en regard du niveau de risque
  • La fréquentation
  • La très bonne qualité de la trace (manifestement faite par un guide) donnant un sentiment de sécurité

Les feux rouges :

  • La situation et la zone de déclenchement correspondent strictement aux critères de risque du BERA
  • Le danger en cas de déclenchement était fort du fait de la présence des barres en dessous

 

Quels enseignements à tirer ?

A mon avis, l’accident en lui-même était quasiment inéluctable, tôt ou tard, vu la fréquentation, quelqu’un serait passé au même endroit que moi. D’ailleurs, la plaque aurait pu être légèrement plus grande et déclencher au premier passage, la trace de montée n’était pas dans une zone moins pentue. Pour éviter l’accident potentiellement très dangereux du fait de la présence des barres en dessous, la seule solution aurait été de faire demi-tour, mais je n’imagine pas que dans ces conditions quiconque fasse demi-tour à cet endroit. D’ailleurs un guide avait manifestement tracé une autoroute pour ses clients.

A partir de là que faire ? Ne pas assumer le risque résiduel dans une randonnée en 2.2 par risque 1 ? Cela équivaut à ne plus faire du cyclisme que sur les voies vertes.

En voyant les jours suivants tous les moindres couloirs ou pentes raides des faces nord tracés, j’avoue que je suis franchement dégouté.

En même temps je n’ai aucune envie de recommencer l’expérience pour vérifier si à chaque fois on s’en sort indemne.

Ce qui était évitable, c’est de se faire prendre à 2. Pour cela il aurait fallu faire passer les petits feux rouges devant les gros feux verts, et identifier le passage comme étant un point de vigilance.

Je l’ai entendu 10 fois dans des formations, je le sais par cœur, les zones correspondantes aux « Situations avalancheuses typiques » du bulletin doivent faire l’objet d’une attention particulière. Je rajouterai, même par risque 1.

Et pour enfoncer le clou, à l’attention des récalcitrants, le port du casque en toutes circonstances (je ne le porte systématiquement que depuis peu…).

Voilà, j’ai essayé d’être le plus objectif possible, je suis intéressé par vos remarques, critiques, expériences.