04-03-2021
Belledonne
3400
1320
2926
F
11h
3

 

 

 

 

La naissance d’une belle aventure, des compagnons de fière allure

Courant décembre, la neige est là, les jambes aussi, et une idée germe lentement dans mon esprit ; tenter de franchir les 3000m de dénivelé à ski. Ce qui constitue à la fois un défi marrant, et si ça marche une assurance que je peux le faire, en vue d’un éventuel futur projet où ce serait le prérequis et non le but. L’idée n’étant pas de passer une journée de souffrance en solitaire, j’arrive à motiver quelques Gaulois connus pour leur VO2max digne de Virenque après sa transfusion mensuelle, et qui transformeront ce chemin de croix en joyeuse bambée dans l’allégresse et la bonne humeur. Etant plutôt habitué à dézinguer mes camarades à la moindre occasion lors des CR, je marquerai ici l’exception, tant ils m’ont bluffé ce samedi, et tant leur compagnie a été agréable. En écho à un certain JC, en voici une brève description :

  • Anaël, une machine parmi les machines.
  • Loïc, une machine parmi les machines.
  • Manu, une machine parmi les machines.
  • Nico, une machine parmi les machines.
  • Sarah, une machine parmi les machines.

 

La grande Lance de Domène, débuts d’une journée bien pleine

Au milieu de tout ce beau monde, moi, gamin au pantalon troué essayant tant bien que mal d’imiter les grands. Rendez pris pour ce samedi donc, et sur une idée novatrice (Que dis-je ! disruptive !) de Manu, nous filons dans Belledonne dormir dès le vendredi soir à la Gelinotte, pour un départ à l’aube de Freydières. L’idée est de rayonner entre les sommets phares du coin en jouant avec les orientations. La météo est très hésitante, c’est plein de doutes (et de pâtes) que nous filons au pieu. Réveil, tartines et bagnole jusqu’aux 4 chemins, départ à l’aube à 6h45 les skis sur le dos, Frédi nous a prévenu, ça ne chausse qu’à la sortie de la forêt. On essaie tant bien que mal de garder un rythme efficace mais pas fatiguant, dans un brouillard épais et très humide qui aura trempé nos peaux avant même de chausser. Doutes, doutes... Au niveau du lac du Crozet, tout se décante ; la traversée au-dessus des eaux sombres se révèle aisée dans une trace bien marquée, et l’on passe au-dessus de la mer de nuages pour trouver un soleil qu’on ne quittera plus, nous garantissant une ambiance chaleureuse et surtout une neige décaillée. Ce sont les premiers signes d’une journée où tout se déroulera parfaitement, où tous les éléments se révèleront en notre faveur. La suite de la montée vers la grande Lance de Domène, à 2790m, se fait tranquillement. Seuls au monde, nous partons ensuite skis aux pieds du sommet sur une neige déjà légèrement revenue grâce à l’orientation SE, jusqu’au replat situé au pied du névé de la grande pente.

 

La croix de Belledonne, les jambes sont là, la neige est bonne

C’est là l’occasion idéale d’une première pause et d’un sandwich pour mon Nico, mais le vent frais en décide autrement et nous décidons d’enchainer avec l’ascension de la Croix de Belledonne. Un verrou puis des pentes douces nous emmènent au point culminant de notre ballade à 2926m d’altitude. A nouveau seuls. Il est tôt, et comme lors de la première ascension, les choix personnels divergent sur l’utilisation des couteaux ou non, mais quoi qu’il en soit mon kilo de crampons si amèrement emmené m’apparait bien superflu. Enfin, voyons le verre « plein sauf une goutte », le spectre d’une journée passée sur du carrelage semble bien loin désormais. Le soleil brille au-dessus de 1800/2000m, cependant un petit vent continue de souffler et nous convenons (mis à part Nico) d’une vraie pause plus bas où nous serons mieux installés. Nous partons donc pour le coup de poker du jour, par-delà le lac du Bœuf, celui du Bois, pour tenter une descente plein S sur le vallon de la Grande Vaudaine ; c’est finalement, mis à part une étroiture et quelques coulées, de superbes pentes et une transfo au poil qui nous attendent. De surcroit nous ne croiserons que deux anciens à la bronzette marquée qui font le tour inverse, et qui nous implorent de ne pas parler de ce vallon sur skitour. La descente est sans effort, ou plutôt si : il faut arriver à s’arrêter, mais c’est dur !

 

Pique-nique sur un replat, il est l’heure des constats

Vers 1800m, nous constatons que sur un replat, 50m au-dessus de la mer de nuages, sans vent, se situe un rocher sec. Nous constatons qu’il est midi et que nous avons déjà fait 2000m sur les 3000 ; personne ne proteste et nous nous étalons pour profiter de ce petit coin de paradis, juste en face de l’Infernet. Je constate que la vie est douce en Belledonne. Un petit tour de table permet de constater que tout le monde va bien. Un petit coup d’œil sur la carte permet de constater qu’en montant à la Grande Lauzière puis en remontant légèrement au col de la Pra, les 3000m seront dans la musette. Un petit croc dans ma quiche aux légumes me permet de constater qu’elle manque de sel. Un petit regard circulaire me permet de constater que je suis vraiment, vraiment bien entouré. Vous le constaterez vous-même sur la photo. Enfin, lorsque nous nous remettons en marche, je constate (la bouche pleine) que les crocos ont toujours autant de succès.

 

La Grande Lauzière, victoire de l’instinct grégaire

Nous le savions, malgré cela le départ fait mal. Notre estomac est aussi rempli que ce vallon est désert, il n’y a plus le moindre vent, nous sommes au mois d’avril, tout le monde se met tout nu. Nico et Anaël gambadent devant comme si nous venions de partir de la voiture, je suis obligé de rappeler ces deux petits jeunes à l’ordre pour ne pas éclater le groupe. Manu et Sarah, tel des joueurs de poker, sont toujours insondables, ils montent, tiennent un rythme régulier, n’expriment pas la moindre forme de fatigue, c’est assez impressionnant. La preuve que je suis bien accompagné d’humains, de chair et d’os, surviendra sur la fin de l’ascension, quand je suis témoin, ébahi, d’un début de fatigue de Loïc qui après 3000m de montée, dont 2000 en neige dure, avec de skis de 106mm au patin, me montrera pour la première (sans doute dernière) fois de ma vie, quelques vagues débuts de faiblesse. Quant à moi, j’arrive à garder un rythme mais je sens que ma capacité d’accélération a pris un sacré coup. Arrivés aux 2741m de la Grande Lauzière, la lumière est magnifique, la descente appétissante, la température idéale, tout va bien. Tout le monde aura fait les 3000, la victoire du collectif est sans appel. Un coup d’œil à l’horloge m’indique 14h45. Le Grand Colon est juste en face, il semble murmurer qu’on a une sacrée avance sur l’horaire, qu’en temps de couvre-feu il est interdit d’arriver à la maison avant 18h. Alors je me laisse convaincre et lui promets de convaincre à mon tour mes camarades : c’est dur ! Anaël frais comme un gardon et Nico, qui reprend toujours du rab a la cantoche, sont finalement d’accord pour m’accompagner.

 

Le grand Colon, trois petits skieurs et puis s’en vont

La descente est d’une perfection digne des virages de Sylvie. La neige juste revenue comme il faut nous emmène jusqu’au replat du refuge de la Pra à une vitesse folle (parfois trop folle pour Anaël). Un léger fourvoiement nous fait ensuite prendre un peu de hauteur pour constater que si, il faudra bien descendre jusqu’au lac Merlat pour monter au sommet. Pendant ce temps, Loïc, Manu et Sarah sont descendus jusqu’au au lac Claret et rentrent à la voiture par le col de la Pra. J’espère très fort que nous bénéficierons d’une descente plus agréable et directe du côté de l’entonnoir du Grand Colon, d’autant plus que c’était une promesse de campagne faite à Anaël et Nico. Ce dernier n’a d’ailleurs toujours pas épuisé ses 4,25L d’eau emmenés (!!!), et sa forme étant en toute circonstance constante tant qu’il n’est pas à sec, il se balade 100m devant, porté par ses jambes et par une hâte inexpliquée de retourner à Chambéry. Anaël ne semble pas en grosse difficulté non plus, cependant il reste avec moi, par soutien, ou peut-être aussi parce qu’il est à vide et que je m’arrête régulièrement pour pelleter d’énormes poignées de cacahuètes. On ne va rien se cacher, moi, je suis fatigué. Tel un chamois borgne, vieux, et avec 2 pattes cassées ; en montagne, à ma place, mais lent. Les 2394m du Grand Colon sont conquis vers 16h30, et alors que je pense vraiment avoir touché du doigt mes limites physiques, une sensation indescriptible, un mélange de satisfaction, de fatigue, d’accomplissement, m’envahit soudain. Quelle joie d’être là-haut, de contempler la mer de nuages se teinter des lumières de fin de journée, les trois précédents sommets gravis dans le rétroviseur, de savourer la fin d’une journée ou la météo, la neige, les compagnons, furent tous des plus agréables.

 

Dernière descente et débriefing, vivement un samedi en jogging…

La mer de nuages c’est magnifique, mais il faut bien se l’avouer, nous devrons redescendre dedans pour rentrer à la voiture. Après quelques dizaines de mètres en neige soufflée, où les jambes commencent à se faire sentir, c’est une « moquette typée 70's, celle avec les poils tellement longs que tu peux y perdre une armée de Playmobils » ©, qui nous emmène au bas de l’entonnoir. La bonne transfo commence à être un luxe habituel comme la poudreuse en Ubaye. La brouillasse est cependant très épaisse à partir de 1800, et Nico infatigable descend comme une balle jusqu’à la forêt ou nous déchaussons, 100m à gauche du sentier que nous devons rejoindre en traversant à flanc dans la jungle Belledonnienne tel des sangliers en chaussures de ski. 200m de portage plus bas, nous rejoignons la piste des Carriers sur laquelle nous pourrons rechausser jusqu’à 500m de la voiture, le sourire aux lèvres. Comme la cerise sur un énorme entremet d’étoilé, j’absorbe la dernière goutte de mon camelbak à 100m de la voiture, au cas où je n’aie pas compris que tout s’était goupillé parfaitement durant cette journée.

A 17h45, nous enfilons baskets et jean à la voiture pour notre plus grand bonheur. Malgré une journée de souffrance au col des Aiguillons le lendemain, que j’aurais vraiment dû passer dans mon canapé, cette grande balade de 3400m restera dans ma mémoire comme 11 heures d’efforts extraordinaires, durant lesquelles des compagnons exceptionnels m’auront accompagné dans un tour mémorable, à travers les 4 sommets phares du sud Belledonne, presque seuls dans un coin réputé surfréquenté, avec du ski incroyable et une météo parfaite, et je m’arrête ici par manque de superlatifs.