18-04-2022
Préalpes Bernoises
1700
2850
4043
F
12
1

J4 – 4h35 le réveil sonne.

 Le même rituel matinal s’installe dès le pied posé par terre et nous nous retrouvons dehors une fois de plus à 5h30 avec la frontale vissée sur le casque. La journée attaque par les 150 mètres de marches métallique dans la nuit. Un bon réveil musculaire en douceur. On récupère ensuite nos lattes et attaquons le faux plats montant sur un bon rythme.

Nous connaissons le début de l’itinéraire et pouvons anticiper les passages techniques entre les crevasses. Nous mettons les couteaux plus tôt que la dernière fois pour être à l’aise. Le soleil se lève lentement et éclaire l’Aletschhorn au loin, c’est magnifique. Les Grosses Fiescherhörn et Hintere Fiescherhörn nous apparent au fond du vallon, mais aujourd’hui nous bifurquons à droite bien plus tôt. Nous avons rencard avec quelqu’un d’autre ; le Grosses Grünhorn. Cette montagne a un lourd passé car elle a fait tomber Erhard (Loretan, un grand monsieur), le jour de ses 52 ans. Cette légende nous maintient définitivement en alerte permanente. L’attaque se fait par un bombé bien raide en neige béton, nous gardons nos couteaux. La trace est fine et raide, je m’emploie avec le split. La pente s’adoucit au sommet de la bosse et rapidement se redresse pour passer un second mur de 200 mètres qui nous mène sur une rampe. La trace est toujours mauvaise et nous grimpons au-dessus d’un dédale de crevasses. La prudence est de mise. J’use pas mal d’énergie à plusieurs conversions et traversée fine en neige très dure. Mes cuisses chauffent bien et me le font sentir. Arrivés enfin au niveau de la rampe, on peut souffler un peu et récupérer nos mollets. Au loin, le soleil embrasse doucement le Monch, la Jungfrau et l’Eiger ; grandiose.

Notre itinéraire se poursuit sous d’énormes séracs, c’est aussi magnifique qu’impressionnant. Nous ne sommes que de passage et n’éprouvons pas forcément une envie débordante de pic niquer en dessous. Il nous reste une dernière bosse raide de 200 mètres à gravir avant d’arriver sur des pentes plus douces. On aperçoit l’arrête rocheuse du Grünhorn qui dépasse du mur de neige. Au pied du dernier mur, je change de tactique et décide de finir avec les crampons ; à l’ancienne. Erik garde les skis ; une belle cordée entre un bipède à latte et un piéton à crabes vient de se former. Je reste sur les traces de skis pour ne pas m’enfoncer et consommer de l’énergie superflue. Les conditions sont optimales mais cette dernière montée avec le poids du sac commence à tirer. On voit petit à petit le pied de l’arrête rocheuse, on y va piano, le rocher nous sera salvateur. On arrive enfin au pied de l’arrête, la vue y est superbe mais le vent souffle et la pause est inconfortable. Ce sera rapide : hydratation un bout de fromage et de viande de grison et comme à chaque arête depuis 4 jours on se la fait à l’ancienne ; sans sac à dos et on file.

Il y a une pente de neige raide à gravir sur 50 mètres et une rimaye à passer le rocher. L’arrête est quasiment sèche, on décide de se la faire sans les crabes pour la der. Erik en pompe de ski et moi en boots de snow, totalement à l’ancienne. On reste vigilants car même si la grimpe est facile, le terrain est exposé et le rocher moyen. On enchaine entre petits pas de grimpe, petites rampes de neige et petits pas de mixtes. Au premier tiers de l’arrête, on se rend compte qu’on est trop bas, on rectifie le tir en grimpant pour rejoindre le fil. Le rocher y est meilleur et ensuite on suit le fil jusqu’au sommet. Une fine arête de neige nous y conduit. La vue est incroyable, à 360 ° au cœur des Bernoises, on se sent immergé dans les Alpes.

Les sommets gravis les jours précédents nous apparaissent, il n’y a pas de vent ; un point d’orgue à cette superbe aventure. On profite et contemple le paysage une bonne dizaine de minutes. Je filme Erik qui nous relate en quelques mots notre itinéraire en pointant du doigt les points clés de notre périple. On voit chez lui depuis le sommet ! Puis on se remet en route, il faut qu’on maintienne notre vigilance car la journée est encore loin d’être finie. Nous désescaladons en restant au plus proche du fil de l’arête, où le rocher est meilleur. Un coup à droite, un coup à gauche et de fil en aiguille on retrouve le couloir de neige raide puis nos sacs à dos sous la rimaye. On s’octroie une petite pause mais avec le vent, on se la fait rapide, une fois encore. Chacun se remet dans sa bulle, on sait que la neige sera sévère et il faudra silloner entre les crevasses. Les lattes du camarade et ma board vibrent fort à chaque virage avec cette neige béton armée, les jambes doivent tenir. On enchaine une dizaine de virage puis on se pose quelques secondes avant de replonger dans la pente. La ride se fait sous les séracs et entre les crevasses, juste grandiose. On choisit de passer au centre du glacier pour la descente en suivant les traces. Nous sommes imprégnés par l’élément. La suite se passe dans une neige plus revenue et il fait de plus en plus chaud. On se laisse glisser jusqu’au pied du refuge Konkordia. Une petite halte et puis c’est déjà reparti.

On se doit de passer le glacier d’Aletsch pas trop tard pour éviter de finir dans un trou. On rejoint la trace d’il y a 4 jours, on prend un maximum de vitesse mais on n’échappera pas à un pousse bâton fastidieux sur pas mal de kilomètres J (11) Arrivés à la zone très tourmentée du glacier, on remet les peaux et on choisit de s’encorder. Le soleil a fait son œuvre et la neige est très revenue, les ponts de neige ne font pas rire, les crevasses non plus. On reste bien sur la trace et nous rejoignons enfin la fin du glacier. On repart pour 200 mètres de dénivelé positif sous la chaleur qui nous ramène à un petit col.

Pour retrouver la remontée de Fiescheralp, il nous aurait fallu se refarcir 500 mètres de D+ mais le camarade Rico me propose un itinéraire plus secret dont on lui a fait part. Il s’agit d’un tunnel ;  au lieu de gravir la montagne nous allons essayer de passer dessous puis, la contourner. Nous partons pour 15 minutes de plats à bonne allure. Et en consultant la carte on se dirige vers une petite rupture de pente et là on voit l’entrée étroite d’un passage qui semble s’immicer sous la montagne. On enlève le sac à dos et on se faufile dans le trou, on tombe nez à nez avec une toute petite porte comme dans Alice aux pays des merveilles avec le lapin pressé. On ouvre cette porte et on se retrouve dans un gouffre horizontal avec tout au fond un petit point lumineux. La sortie ! Je passe la porte et Rico me fait passer les sacs. Il pénètre à son tour dans le tunnel. On referme la porte derrière nous et on allume notre frontale. Il fait nuit noire dedans et il y fait frais et humide. Des stalagmites sont disséminés un peu partout, cela nous fait penser à un tunnel de glace. Au fur et à mesure que nous nous déplaçons, le point lumineux se rapproche. Au bout de 15 minutes de marche active on arrive à une porte qui signe la fin du tunnel. En sortant, la lumière nous réveille et on a l’impression de basculer dans un autre monde. Le paysage a complétement changé, nous sommes passés de l’autre côté du flanc de la montagne.

Nous repeautons et contournons la montagne, puis on se met en mode descente et on ride en direction d’un petit chalet que l’on contourne. On atterrit dans le haut d’une station de ski. La lumière du soleil commence à diminuer, il se fait tard.

Nous repeautons et avalons encore 120 mètres de dénivelé pour enfin apercevoir la remontée mécanique de Fiesheralp que l’on avait quitté quelques jours auparavant. On finit sur un rythme soutenu plus propice à la rupture d’anévrisme qu’à la discussion. En effet, Rico m’a indiqué qu’il ne fallait pas louper la benne de 18h30 sinon nous devrions attendre 2h avant la prochaine. Nous arrivons 10 minutes avant le départ de la benne. Un timing bien carrossé. Et c’est ici que s’achève notre voyage, là où tout avait commencé. La boucle est bouclée.

Une fois assis confortablement dans la benne Suisse, on peut enfin vraiment souffler après 12 heures d’effort. Arrivés au parking, on ne perd pas trop de temps car Rico a son train à 19h27. Par chance et en respectant les limitations de vitesse, on arrive à être à la gare à 19h26. Rico s’adonne à un sprint final et réussit à sauter dans le wagon in extremis. Parfois, tout s’enchaîne sans accroc ou presque et ce séjour en est la parfaite illustration.

 Je tiens à remercier le frangin Rico qui s’est montré très fort à tout point de vu ; physique, mental, technique, logistique et camaradristique !

En quelques chiffres pour les matheux : 4 sommets de plus de 4000 m en 3 jours, 6000 m D+, 70 km, 36 heures d’effort, 4 levées à 4h35, des magnifiques levées et coucher de soleil sur des glaciers impressionnants, des paysages à couper le souffle, la remontée de 3 couloirs, de la ride à travers crevasses et séracs, 3 courses d’arêtes, pas mal de litres d’eau, 2 Röstis, du vent à décorner les bœufs, de la neige béton armée, de la croute et parfois du sorbet citron, 1 petit litre de bière, des parties de dés et d’échecs, des doutes, des prises de décisions, de l’émotion et beaucoup de franche camaraderie !