18-12-2016
Haut Giffre - Aiguilles Rouges
600
2901
AD
8 h

 

Après l'Aiguille du Belvédère la veille (compte-rendu à venir), l'objectif du jour est l'Arête Sud de la Persévérance.


6h : A vrai dire, le premier objectif du jour est de sortir du duvet... Le réveil vient de sonner, mais personne ne bouge...


6h10 : Bon là il est vraiment temps de se lever, sans quoi aucune chance d'attraper la dernière benne...


6h20 : Les réchauds luttent pour faire fondre la neige , une première tête sort de la tente des "bleus" (alias Victor et Florent). On y voit comme en plein jour grâce à la pleine lune : les Drus, la Verte, les Grandes Jo presqu'à portée de piolet  ! Il ne fait pas si froid... les chaussures qui ont dormi hors des sacs de couchage sont bien gelées, sans parler des pantalons et autres chaussettes... Le bivouac hivernal c'est quand même austère.


7h30 : L'aube accompagne nos premiers pas hésitants dans une neige plus ou moins portante... David a les pieds gelés, quand à moi je boite bas après m'être tordu le genoux dans un trou la veille... Encadrants en carton... C'est pas gagné, il va falloir Persévérer !


8h05 : Pause technique au pied du couloir, où l'on a la chance de trouver une neige dure qui nous facilite la tâche. Les crampons sont de sortie !


8h45 : On arrive à la 2ème vire qui permet de rejoindre l'attaque de l'Arête Sud Classique.


9h15 : Les crampons sont remisés dans le sac et on commence la grimpe, au soleil ! Le rocher est encore bien froid, et on est content de trouver rapidement le premier des 3 pitons de la voie... Cette cheminé en 4c n'est pas si simple en grosses, mais le pas le plus retord se contourne facilement par la droite. Plus haut sur l'arête, un bouquetin surveille notre progression.


11h00 : on vient d'enchaîner 3 belles longueurs de grimpe, sur un magnifique rocher ocre typique des Aiguilles Rouges. Sous la lumière de l'hiver, le Mont Blanc, les Aiguilles de Chamonix, le Glacier du Tour sont comme à la parade. David apparaît un peu plus bas sur l'un des gendarmes de l'Arête. Le drame est tout proche...


11h30 : Victor me rejoint au sommet, les 3 dernières longueurs en III, magnifiques et très aériennes, ont été enchaînées à corde tendue, avec une certaine économie de moyens. Une petite bise accompagne notre casse croûte sommital, ponctué comme il se doit d'une déclamation listant les sommets environnants. On ne le sait pas encore, mais le drame est déjà joué.


11h45 : Après avoir laissé le casse croûte au sommet pour les suivants, Victor rejoint le premier relais de rappel, par une courte désescalade exposée.


11h50 : Verbatim :
Emeric : "Le rappel, tu maîtrises ?"
Victor : "Oui, oui, c'est bon, je gère"
Emeric : "Bon OK, il vaut mieux que je passe devant, le rappel fait 25 m pile, et on n'a qu'une corde de 50 m. Tu me rends mon ficelou ?"
Victor, un ange passe : "..."
Emeric : "Mon ficelou bleu. Je l'ai laissé quelques mètres après notre denier relais..."
Victor, en regardant partout sur son baudard : "Ben non, j'ai rien... T'es sûr ?
Emeric : "Oui, je l'ai laissé autour d'un béquet comme point d'assurage"
Les yeux de Victor s'éclairent : "... Ah ça ! Mais je l'ai laissé dans la voie, il avait l'air tout pourri, je me suis dit qu'il était là depuis des années !"
Et voilà comment mon fameux "Ficelou Fétiche", qui avait pile la bonne taille, exactement la bonne souplesse pour freiner les rappels, qui m'avait accompagné sur la Meije, le Mont Blanc, le Grépon, l'Alpamayo... se retrouva seul dans la montagne, abandonné de tous.
Ah Ficelou ! Toi qui rêvais de retourner encore une fois sur le Grand Pic avec l'Objectif Meije, toi qui voulais finir tes jours en Montagnard sur la Verte, te voilà réduit à une longue décomposition sur un petit sommet des Aiguilles Rouges...
Console toi malgré tout, tu cotoieras pour l'éternité la Persévérance !


12h30 : Le 2ème rappel nous dépose Victor et moi au Col de la Persévérance, encore sonnés... Le couloir de descente est assez exposé, notamment le début en traversée au-dessus de barres rocheuses, mais la neige est encore bonne et le piolet et les crampons font leur office.


12h55 : Petit coup de fil à David, tout va bien, ils sont au premier rappel.


14h : Victor et moi arrivons au bivouac. Il nous faudra une heure pour tout ranger, en jetant régulièrement un coup d'oeil vers le couloir, dans lequel on voit finalement apparaître David et Florent vers 14h50. On ne croit pas beaucoup en leur chance d'attraper la dernière benne à 17h00 à la Flégère !


16h10 : Descente tranquille à la Flégère (merci Victor pour tes bâtons !) et petite bière en attendant David et Florent, qui arrivent au pas de course à 16h30. "Les machines !" Malheureusement, ils nous confirment qu'ils n'ont pas récupéré Ficelou : "On est passé plus à droite, si on l'avait vu, on l'aurait reconnu !"


18h45 : Vins chauds, bières, Poutine (pas le président, la spécialité québécoise) et hamburgers ont été rondement engloutis à la Microbrasserie de Chamonix, et nous voici repartis direction Lyon, en débattant de nos oranges et de nos citrons (il fallait être là pour comprendre...). Deux beaux sommets, un horaire bien tenu, une première course AD pour Victor, un apprentissage du bivouac hivernal, un beau rocher ensoleillé... c'était un week-end épatant !

 

 


Vers minuit : un vent glacial souffle, la lune projette sa lumière fantomatique sur les flans acérés du Pilier Bonatti, la dégradation neigeuse approche, au loin les alpinistes rêvent de nouvelles aventures, mais sur ce gneiss désormais inhospitalier... Ficelou veille !