19-08-2023
Valais
JB
1

Souffle court et long rocher

Un peu dépité par le manque d’enthousiasme de la communauté gauloise face à ma proposition d’aller faire l’enchaînement Alphubel-Täschhorn-Dom, je suis réconforté par un vieil ami. Il me serine depuis 15 ans qu’il n’aime pas les arêtes, mais il veut bien faire une exception pour cette fois vu l’esthétisme de l’itinéraire.

Après une longue journée de covoit et de voiture, nous arrivons à 17h au parking d’Ottawan (ou Täschalp). Nous apprenons peu avant que nous auront de la place au refuge (« on va s’arranger » dit la gardienne). De parking, on voit le refuge comme s’il était à portée de main ; de fait, la montée est courte et efficace : nous avons même le temps pour une bonne toilette avant le dîner de 18h30. Super accueil, super ambiance dans le refuge grâce à un mélange de randonneurs et d’alpinistes, de Suisses romands et allemands.

La première étape est l’arête Ouest de l’Alphubel. Nous partons à 5h, et marchons dans la nuit sans trop nous soucier de l’itinéraire, indiqué par deux frontales qui nous précèdent largement. Nous sommes ensuite suivis par deux loupiottes qui montent directement du parking. L’approche se finit sur une vague arête que nous commençons à remonter. Au bon d’un moment nous sortons la corde, mais c’est pour mettre les anneaux à la main aussitôt après. La seule difficulté est que le rocher n’est pas très adhérent : il faut faire attention de ne pas glisser quand on pose la semelle en biais. Ce n’est que près de deux heure plus tard que nous grimpons vraiment, sur un pas de dalle en 3+ sur un rocher là encore très peu adhérent. Le spit est le bienvenu, non seulement pour assurer mais aussi pour poser un pied salvateur ! La suite déroule à nouveau, dans de la marche/escalade facile. Deux longueurs un peu plus redressés proposent enfin quelques pas d’escalade, et nous arrivons au soleil, et bientôt au sommet de l’arête. Nous y papotons avec la cordée qui nous précédait, doublée peu avant le sommet. Nous reprenons la route pour rejoindre rapidement le sommet, un vaste dome neigeux. La vue sur tous les 4000 du Valais est splendide. Nous attaquons enfin la partie la plus technique de la course : la descente sur le Mischabeljoch, une arête en rocher brisés toujours aussi glissants, facile mais qui demande de la concentration. En arrivant au col, il est possible de rejoindre la terrasse de la cabane en suivant le fil de l’arête, équipé d’une chaîne, mais je rate ce bon plan et m’engage dans une descente scabreuse sur une mini-vire en rocher moyen, qui débouche 20m sous le refuge, sur une plaque de glace noire et caillouteuse, suivie d’une remontée de 20m en 3 mal protégeable… Avis aux suivants : suivez le fil !

Le refuge est hyper confortable : réserve de bois, poele/fourneau, vaisselle, éponges et torchons propres, couettes douillettes. Le seul problème est l’accès à l’eau : la neige la plus proche est un reste de névé sur le glacier, qui nécessite de descendre les gamelles à bout de corde jusqu’au glacier, puis de traverser 20m de glace noire. Le malheureux chargé de flotte doit ensuite remonter par la mini-arête de 20m… l’aventure !

Autre aventure : l’attaque de l’arête en face de nous semble très raide et extrêmement péteuse ! Nous nous demandons où passer le lendemain, de nuit… Observer descendre un Slovène en solo, puis deux Allemands nous rassure un peu, mais pas complètement.  

Ambiance plus que calme au refuge : les 4 ou 5 cordées sont chacune dans leur coin. En fin de soirée, une courte discussion s’engage sur les heures de départs. Nous comprenons que tout le monde compte partir tôt, entre 3 et 4h. Nous décidons de nous lever à 4h et de partir plutôt en fin de peloton.

Le lendemain : une cordée part alors que nous nous levons, mais il nous semble voir beaucoup de formes endormies dans le dortoir… il s’avérera que presque tout le monde se sera découragé soit la veille, soit au réveil. Un guide et sont client nous précède, un Roumain lâché par ses deux compagnons nous rejoindra en solo au premier sommet avant de faire demi-tour.

La montée s’avère extrêmement facile : le rocher est en effet très mauvais, mais l’arête n’est pas très raide et il y a un sente bien tracée dans le sol sableux. Dès que le rocher bouge, c’est qu’on n’est plus l’itinéraire. Ray Charles pourrait y mener une cordée !

Bien que je traîne la patte et que je souffle comme un bœuf asthmatique, nous sommes au sommet du Täschhorn à 7h. L’arête n’est jamais difficile. Nous ralentissons uniquement pour mettre et enlever les crampons deux fois pour franchir des zones en neige dure bien tracées. La vue est incroyable. Une petite pause, une petite discussion avec le Roumain qui nous a rejoint, et ça repart. Contrairement à ce que dit le topo C2C, nous trouvons une arête en neige dure et en sommes très satisfaits. Ca cramponne bien et on peut assurer sur des béquets penchés dans le bon sens (pour une fois que c’est dans le bon sens !). Quelques pas de desescalade et une traversée un peu plus expo, mais toujours en bonne neige dure, concluent cette descente. J’ai repris du poil de la bête et nous enchaînons sur la montée au Dom. Ca se corse. enfin, ça se saharise, car le rocher tient plus du tas de sable et de gravas que du bon granite de l’île de Beauté. Le topo C2C, très succinct et imprécis, ne nous permet pas vraiment de nous situer. Globalement, c’est facile tout le long, ça passe de temps en temps sur le versant E dans des vires péteuses, et le rocher est mauvais partout. On marche sur des œufs et on n’a souvent pas le droit de tomber (enfin, de glisser plutôt car ce n’est jamais vertical). Nous arrivons épuisés nerveusement au Dom pour le déjeuner. Je regarde JB et luis dit : le rocher est mauvais, hein ? Il me répond : j’allais le dire. Je dis : le topo de demain dit que la montée à la Lenzspitze est en rocher affreux. Il répond : j’ai bien noté oui. Je dis : ça fait beaucoup de mauvais rocher tout ça non ? Il répond : j’ai déjà vu du rocher pire que ça, mais je n’ai jamais vu autant de mauvais rocher de toute ma vie de guide ! Je lui dis : sinon on descend ? On a bien profité de la vue, là ! Il répond : je n’osais pas te le proposer !

Aussitôt dit, aussitôt fait, tant pis pour la Nadelgrat. Nous filons vers le bas par la voie normale du Dom, une pente en neige raide puis un superbe glacier. Vue sur la Nadelgrat, qui semble très large et facile vue d’en bas. Traversée exposée sous des séracs, puis exposée à des chutes de pierre pour rejoindre un petit col. Nous remontons à une petite tour et suivons des points scellés conformément au topo, pour déboucher dans de grandes pentes péteuses qui surmontent des barres rocheuses. Hésitation. Recherche d’itinéraire. Discussion. Remontée. Redescente. Remontée, jusqu’au col cette fois. Nous y trouvons, o surprise, deux piolets ! C’est une chance, car nous n’avons plus les nôtres ! On a bien fait de remonter ? Nous trouvons finalement une bonne trace qui mène à des points agrémentés de quelques catadioptres, qui permettent de mouliner et/ou désescalader sans problème jusqu’au glacier. La descente est encore longue, mais nous sommes vers 17h sur le sentier du refuge. Des emplacements de bivouac secs et parfaitement horizontaux nous tendent les bras. Il fait chaud. Le soleil brille. La vue est belle. Nous posons le sac, faisons un brin de toilette, un bout de chantier pour monter des murs, et nous sommes installés comme des rois.

Le lendemain, une belle journée de rando nous permet de rejoindre la voiture via la Domhütte, très belle ; une descente bien raide et technique, heureusement câblée et équipée d’échelons (je suis bien content de ne pas l’avoir descendue la veille avec la course dans les pattes !), une passerelle suspendue de 650m (eh oui !) et un beau sentier en balcon.

En résumé : une course intéressante, dont la difficulté (AD+ pour l’Alphubel, D pour la traversée Täschhorn-Dom) tient uniquement à la longueur et à la mauvaise qualité du rocher. A peu près pas d’escalade.

P.S : il ne semble pas possible de bivouaquer à proximité de la Domhütte, non plus qu'autour de la Täschhütte : très peu d'endroits plats sans panneau interdit.