16-04-2023
Alpes Grées S
1600
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Suite à quatre enfants très dynamiques, à un pouce foulé, à des conditions nivologiques risquées (neige fraîche et vent fort ayant probablement créé de nombreuses plaques), et à une météo mitigée, Ariel et moi renonçons à aller dormir au refuge des Evettes et à tenter l’Albaron le lendemain. A la place, nous faisons une sortie à la journée. Nous nous disons que la montée au refuge des Evettes ne doit pas être trop risquée vu l’altitude modeste, et que le vallon qui monte vers le col de la Disgrâce est fort plat.

Nous partons à l’horaire fort peu printanière de 10h20, après le début du cours de ski des petits. La montée sur la piste de ski de fond qui monte à l’Ecot permet de s’échauffer, surtout que, pour nous préparer à l’ascension du Mont Blanc, nous avons pris tout le matériel de glacier, y compris la corde ! Au moment d’attaquer la vraie montée, une petite brise nous étonne. Elle ne fera que forcir alors que nous nous élevons au dessus de la vallée. Vers 2400m, alors qu’il fait désormais franchement frais, une forte rafale me déséquilibre pendant une conversion. Il ne faiblira plus. Heureusement, la pente s’adouci, puis s’aplatit tout à fait. Nous progressons désormais dans une atmosphère à la luminosité étrange, chargée de neige par le vent, sous un pâle soleil qui ne réchauffe guère. Autour de nous, tout est blanc et plat, même si une fière pyramide noire nous domine de loin. Où sommes nous donc ? Ce vent fou nous a-t-il transporté ailleurs ?

En bas, sur une vaste étendue immaculée, nous apercevons quelques silhouettes noires qui avancent contre le vent, se dandinant à petits pas. Des skieurs épuisés, ou… une colonie de manchot ? Quelques centaines de mètres plus loin, nous distinguons bientôt une sorte de caisse en métal blanc perchée au dessus du vallon. Nos impressions se confirment : nous voici bien en terre Adélie. Ce bâtiment, c’est sans doute la base Dumont-d’Urville. En effet, en nous approchant, nous distinguons divers instruments de mesure disséminés aux alentours. Nous entrons par une porte aux allures de hublot. Nous quittons la lumière pour la pénombre, mais aussi le vent pour le calme. Une chaleur bienfaisante nous envahi. Après avoir passé plusieurs portes manifestement conçues pour des conditions extrêmes, nous pénétrons au cœur de la base : la salle commune. Un énorme poêle y ronfle, répandant une chaleur bienfaisante. Le gardien nous accueille avec un grand sourire. Trois personnes y sont en train de finir leur pique-nique – probablement des météorologues ou des glaciologues du climat. Nous nous installons à la table voisine et attaquons les sandwichs avec entrain. En dessert, la cuisine de la base vient à la rescousse avec une délicieuse infusion de citron chaud et un énooooorme fromage blanc à la noisette qui alourdira Ariel toute l’après-midi. Ca donne envie de revenir essayer la demi-pension !

6 hommes du PGMH de Modane débarquent peu après, ayant passé la selle de l’Albaron dans la tempête mais renoncé au sommet. Un seul d’entre eux pèse autant qu’Ariel et moi réuni, et marche sans doute à la même vitesse en montant que nous en descendant… sacrés gaillards.

Nous parvenons à nous arracher à ce havre pour repartir dans le blizzard. Il nous cueille dès que nous quittons la zone (réduite) protégée par le bâtiment. Heureusement, nous avons le vent dans le dos ! Nous descendons rapidement sur le replat, remettons les peaux, et nous dirigeons vers l’ouest. Objectif : monter vers le col de la Disgrâce aussi longtemps que nous le pourrons. La neige et le grésil nous doublent, filant à l’horizontale. Se retourner, exposant les joues au vent, est une épreuve. Je traîne la patte sous mon lourd sac. Je demande à Ariel à quelle heure nous déciderons de faire demi-tour. Sa réponse ? 18h ! En effet, vu les conditions hivernales, pas de risque que la neige transforme ; il fait jour jusqu’à 20h30 ; et les enfants sont bien gardés. Nous continuons donc, ajoutant des couches de vêtement régulièrement. J’ai l’impression que mes lèvres sont en sang. Ma barbe (pourtant bien courte) est un glaçon géant. Nous parvenons enfin au col, dans la douleur, vers 16h. On ne voit rien du paysage. Il fait un froid polaire (antarctique). Même les manchots ont disparu. Je me congèle, dos au vent, pendant qu’Ariel se débat avec ses peaux. Enfin, nous filons dans la descente, à la modeste allure de 2km/h : la pente est douce, et avec le vent de face nous devons parfois pousser sur les bâtons pour avancer ! Nous ne voyons pas à 100m tellement l’air est chargé de neige arrachée au sol.

Vers 2900m, dans une zone où l’air est plus clair mais le vent toujours aussi fort, nous croisons quatre Italiens qui hésitent à continuer. Arrivés sur le replat des Evettes (évette signifie manchots en patois mauriennais), nous nous rendons compte que le ciel est désormais gris de plomb. Nous nous inquiétons pour la descente sous le refuge dans le jour blanc, avec des traces qui auront certainement été effacées par le vent. Heureusement, après la dernière petite remontée, tout va mieux. A 2200m, le vent tombe soudainement. Nous sommes à la maison à 18h, épuisés mais ravis par cette expédition polaire express.

Par curiosité, je regarde la météo du jour. Meteoblue annonce qu’à 3000 il faisait -10 au milieu de l’après-midi, avec 50 à 60km/h de vent, ressenti -27. Il faisait sans doute un peu plus chaud, mais cela explique que nous nous soyons refroidis si vite au col !