10-03-2021
Mont Blanc
2600
1229
3323
PD
11h
1

 

J’ai fait un rêve…

Sous un splendide soleil printanier, je parcourais la haute montagne drapée de ses habits d’hiver… De col en col, je côtoyais de merveilleuses sculptures de protogine givrée et de séracs molletonnés.

Dans cette journée idéale, quelques minutes avant que le réveil ne sonnât, j’ouvrais l’œil dans un nid douillet, savourant ces quelques minutes de répit avant l’agitation matinale. Je prenais un rapide petit déjeuner, finissant notamment les restes d’un excellent crumble, vestige du gargantuesque repas de la veille à base de croziflette agrémentée de chianti. J’étais accompagné d’un camarade dont la bonne humeur et l’accent chantaient le sud-ouest, une « machine » sur qui je savais pouvoir compter en toute circonstance.

Dans cette journée idéale, nous traversions une ville endormie pour chausser les skis de nuit car « en montagne, on part rarement trop tôt ». Nous remontions une piste parfaitement damée pour rejoindre au petit matin un majestueux glacier drapé d’une couche cotonneuse de quinze bons centimètres. Les premiers rayons d’un soleil généreux venaient nous cueillir alors que nous remontions ce géant de glace. De rares traces nous reliaient encore au monde des vivants, mais déjà nous nous sentions un peu ailleurs… Nous passions au pied d’itinéraires glaciaires de légende et de murailles au rocher rougeâtre meringué. De retour dans le froid d’un versant ouest, nous chaussions les crampons pour franchir un passage plus raide avant de rejoindre un replat inondé de soleil. Après plus de 2100 mètres de dénivelés, nous atteignions finalement un col caillouteux, fenêtre vers une contrée inconnue.

Dans cette journée idéale, nous descendions le raide et étroit versant est de ce col d’abord en rappel puis en crampons avant de rechausser les skis. Nous réalisions nos premiers virages dans une poudreuse de cinéma vierge de toute trace sur un vaste glacier ouvert sur un panorama infini. Nous repeautions rapidement et le camarade traçait pour nous permettre de nous élever doucement en direction de notre deuxième col de la journée, défendu par quelques dizaines de mètres abrupts que nous franchissions en crampons.

Dans cette journée idéale, ce deuxième col donnait de nouveau accès à un autre univers : un vaste plateau glaciaire entouré de petits sommets dorés. C’est ce moment que choisissait le camarade pour avouer qu’il était « complètement cuit ». Mais une courte pause permettait de recharger les batteries et nous repartions vers l’ultime col de la journée… La descente approchant, les derniers mètres de dénivelé étaient parcourus dans l’euphorie, avant de se rendre compte que le versant ouest de ce col était fort peu accueillant… Nous repartions donc pour notre quatrième col de la journée, où la montre indiquait 2600 mètres de dénivelé et où nous rangions définitivement les peaux. Après quelques mètres parcourus à pieds, nous chaussions finalement les skis sous lesquels s’ouvraient une descente de 1800 mètres de dénivelé.

Une journée en montagne ne saurait être idéale sans une descente d’anthologie. Sur ce glacier délicieusement pentu, nous trouvions une poudreuse légère d’une trentaine de centimètres sur fond dur. A cette heure bien avancée, seuls sur ce vaste glacier, nous avions tout loisir de choisir nos trajectoires dans les zones non tracées. Les jambes lourdes étaient oubliées et sous une lumière légèrement tamisées, nous profitions de chaque seconde. Si les 500 derniers mètres étaient plus difficiles à skier, c’étaient pour mieux nous rappeler la chance que nous avions eu de skier une poudre légère sous ce doux soleil printanier.

Dans cette journée idéale, nous déchaussions au parking où quelques minutes plus tard un bus nous ramenait à notre point de départ. Nous retrouvions ensuite nos camarades GAULois pour fêter dignement cette sortie fantasmatique, point d'orgue d'un séjour épatant : déjà les souvenirs s’estompaient, sans doute une telle perfection ne pouvait être qu’un doux rêve…