08-06-2023
Mont Blanc
1800
4000
AD
17
Nico
1

Pour les Droites, le créneau est court mais quand il semble être là, il faut le saisir. Avec Nico, mon camarade, guide de haute montagne et formateur à la FFME, sommes sur les strating-blocks. Entre sessions d’entrainement, ponçage des bulletins météo et multiples appels au gardien ; le temps passe vite. Le mardi, le créneau se dessine brutalement. Il faut monter mercredi au couvercle et tenter l’ascension le jeudi.

Un posage de jours in extremis, une préparation d’affaires à la last minute et un premier levé à 04h du matin pour retrouver Nico vers Chambé.

L’objectif du jour, choper le premier train du Montenvers.

Tout a bien changé là-haut, les échelles pour descendre sur la mer de glace ont été retirées. Un téléphérique a été construit à la place. On emprunte un sentier puis des escaliers qui nous amènent à la mer par la fameuse grotte de glace. La marche d’approche pour le Couvercle est toujours fastidieuse surtout lorsque l’on traverse la moraine sur un sol pierreux et sableux. La petite Via Ferrata est vite avalée et nous voilà à l’heure de l’omelette sur le parvis du refuge. Malheureusement, Pinou le gardien, est seul aujourd’hui pour gérer la tôle donc il n’y aura pas d’omelette. Un succulent gâteau à l’ananas fera joker.

Quelques parties de Uno et on se met rapidement au lit. Lorsque je mets mon alarme, le téléphone indique que la sonnerie se déclenchera dans 22h et 10 minutes. Ah oui, je me suis trompé de jour, c’est aujourd’hui qu’on se lève, à 23h30 donc dans 2h30. Légère déconvenue.

A peine eu le temps de m’allonger que le réveil sonne déjà.

Direction la salle du petit déj où on retrouve 4 personnes attablée avec le gardien. J’avale un bol de thé fumant en tendant l’oreille vers les discussions de la table voisine.

Le gardien : « Il y a 0 regel dehors et il pleut. Il va falloir avoir la foi pour sortir aujourd’hui et y aller au força. Ils vont creuser des trancher les gars c’est certain. »

Nico : « Bon, c’est soit on tente maintenant soit on va se recoucher. On ne peut pas se permettre de partir plus tard pour la descente en face sud. »

François : « Ok, go. »

Je me rappelle des derniers mots du gardien avant notre départ : « Il faudra y croire. »

Il est 0h15 lorsque l’on pousse la porte du refuge.

Les premiers pas dans la neige nous confirment un regel nul, on s’enfonce déjà. Les crampons restent dans le sac pour le moment. Le départ se fait sous la cabane pour aller chercher la moraine qui descend encore plus bas via une rampe de neige raide. Elle nous pose au glacier. Nico me lance : « Vas-y François, trace, il faut que je garde du mental pour la suite. » 

C’est donc sous la pluie et avec un regel inexistant que je progresse à la lueur de la frontale sur ce glacier.  2 cordées d’amateurs prennent notre trace mais rapidement, au bout de 35 minutes, nous nous retrouvons seuls dans la nuit avec Nico. Nos camarades ont rebroussé chemin. La pluie, le manque de regel ont eu raison d’eux.

Cela fait maintenant 1 heure que nous avançons sur le glacier, il fait toujours nuit et la pluie s’est accentuée.

Le doute s’empare de moi. Je le communique à Nico mais il me dit : « Continue François, tant que ça porte un minimum on continue.» 

Je poursuis la trace, la pente s’accentue. On rejoint la base de la face sud. Je m’enfonce de plus en plus et m’emploie à tailler des marches dans le premier tiers de la face. Au bout d’un moment, la neige change encore de consistance et devient de moins en moins portante. La progression est de plus en plus lente. Nico prend le relais et enfile ses snowplaques.

J’arrive à progresser derrière lui à pied, il crée des cratères à chaque pas. Il fait toujours nuit noire et la pluie tombe toujours mais diminue petit à petit. Nous sommes seuls dans la face, Nico s’encourage. Il râle, il donne. Le jour se lève doucement, la pluie s’est arrêtée. Un bref coup d’œil dans le rétro, la face plonge sous nos pieds.

On arrive au premier passage mixte, la corde sort du sac de Nico. Je garde l’autre brin au fond du mien. Le camarade s’élève à coup de grattonnage avec les piolets en jouant sur le rocher et la neige inconsistante posée dessus. Parfois les 2 piolets à la main, parfois un autour du coup et parfois les 2 pour utiliser nos mains. Après cette petite longueur de mixte, Nico rechausse les snowplaques et continue de tracer en mode machine. On traverse des parties goulottées profonde résultant d’anciennes coulées. Ces passages sont d’une grande ambiance suspendue. La face se redresse encore et vient buter sur une partie raide en mixte. Nico essaye de se crée un chemin au mieux entre rampe de neige expo et magnifique granit chamoniard. Une partie plus raide nous stoppe. Il essaye par une dalle, ça ne passe pas. Il revient sur ses pas.

Une courte désescalade et Nico va chercher une fissure athlétique, où il faut s’employer pour passer et se rétablir sur une toute petite niche neigeuse avec une cordelette pour faire relais. A ce moment-là, une voix s’élève et rapidement un alpiniste sort de nul part par la vraie voie normale semble – t-il. Il me rejoint au relais, c’est Sam, aspirant guide de haute montagne  au visage joyeux avec son ami Seb, un grand gaillard de 1m90 avec la carrure d’un charpentier. Avec Nico ils décident que l’on poursuivra ensemble.

Sam : « C’était un chantier pour nous aussi ! On a dû tout tracer dans cette neige très peu portante !» Toujours dans la face, mais toujours pas sortis des difficultés, Nico tente dans un semblant de dièdre, ça ne passe pas. Il râle. Il se dirige vers un passage renfougne avec de la neige plaquée sur une dalle. Il gromelle, il donne, il stoppe. Il relance, il râle, il stoppe.

L’heure tourne, il est tard, on est hors délai. Ce serait plutôt l’heure d’attaquer le 4eme rappel et ce à minima.

François : « On peut réchapper là Nico sinon ! »

Nico : « Je me bats pour le sommet François ! Je compte sur la nébulosité, c’est ça qui peut nous sauver ! »

Sous le soleil levant, la face prend feu, le sommet est encore loin, je doute et prend conscience que l’on est dans une situation précaire. Je me rappelle à ce moment-là des derniers mots du gardien : « Il faudra y croire. »

François : « Ok Nico, allez faut sortir, solide ! »

Nico relance, un dernier râle et il sort avec force et détermination !

Il me fait venir. Arrivé au passage péchu, je râle, je stoppe. Je relance, je stoppe. Dans un ultime effort, je sors de la renfougne à coup de bassin et vient coiffer une petite réglette et je passe ! Ouf ! Je crois que c’est ça du fractio à 4000 :)

Je retrouve Nico au relais.

Sam est déjà là, il a réussi à passer par le dièdre fuyant, non sans mal. Seb le rejoint après quelques grognements.

Nico prête ses snowplaques à Sam pour qu’il prenne le relais à la trace. On mutualise les forces. Il est 9h15. Les nuages jouent à cache-cache avec le soleil mais cette fois on prie pour qu’ils ne partent pas.

Sam est inquiet.

Sam : « Je n’aime pas bien ça, on aurait dû être au sommet depuis 3 heures au moins. »

Notre camarade trace la pente de neige suspendue au-dessus de la face sud. Un bref coup d’œil dans le rétro, le paysage est somptueux avec les Jorasses en toile de fond. La neige est profonde, et laisse dépasser juste le haut du genou. Nico et moi suivons la cordée Sam et Seb. On vient buter sur une partie plus raide ;  une dernière longueur en mixte avant le sommet très probablement. Sam se pose la question s’il ne serait pas plus sage de redescendre maintenant. Mais pour Nico, c’est une évidence, il faut pousser au sommet. De mon côté, je me dis qu’on est plus à 45 minutes près maintenant.

Sam s’engage dans la longueur. Nico embraye dès que Seb est passé. Je rejoins Nico au relais. S’en suit une courte arrête effilée pour atteindre enfin le sommet Est des Droites ! Il est 10h15, nous avons mis 10h pour rejoindre ce sommet mythique dans des conditions patagonnes.

Maintenant, place à la descente. Ce sera par la ligne de rappel. Sam pose le premier, Nico enchaîne tout de suite derrière lui pour poser le second avec notre corde. J’arrive au relais. Sam tire la corde et lance :

« Merde, merde, fais chier !!! »

On s’y met à deux, elle ne vient pas. Elle a dû coincé dans le coude de neige. Sam crie : « Nico, on a coincé la corde !! Je ne vais pas la chercher, tant pis ! Il faut descendre ! »

Nico : « Ok, comme tu veux…! »

Le second rappel est sur un relais plutôt confort à 4.

Nico part chercher le 3ème, il gromelle mais trouve enfin le relais.

Il n’est pas du tout confort car le point d’ancrage est très haut donc très peu pratique. La neige est ramolie, trop ramollie. Il ne faut pas perdre de temps et descendre au plus vite. Après le 9ème rappel, Nico en pose un dernier sur corps mort grâce à sa planchette en bois qu’il avait récupérée au refuge. La neige est détrempée sur 1 mètre. La situation est critique. Le danger d’avalanche est réel. A la fin du dernier rappel, les cordes sont rangées dans les sacs. Il nous reste un bon tiers de la face à 45 degrés à désescalader.  Nos piolets s’enfoncent comme dans de la semoule. Peu de mots à cet instant. Tout le monde sait que c’est trop tard.

Sam : « Je fais la trace les gars ! Suivez mes pas ! »

Seb : « ll faut se dépêcher, faut pas qu’on traine là ! »

Nico : «Vasy François, fais ce que tu as à faire, il y a pas à réfléchir là.»

François : « Ok, départ les gars ! »

La traversée se fait sur des œufs, le curseur change. « Si ça doit partir, c’est que c’était notre heure. » Une fois le mental mis d’aplomb, je me concentre sur les pieds et piolets pour sortir le plus rapidement possible. Une fois la traversée passée, on bascule sur une orientation à dominante sud-ouest. C’est toujours détrempé mais un peu moins. Le mental relâche un tout petit peu. Plus on descend, plus la neige se tient. La confiance revient de plus en plus fort. On perd de l’altitude, doucement mais surement. Des coulées de neige partent en sluff des rochers avec un bruit sourd, des bouts de glace dégringolent de la face avec fracas, la neige se remet à tomber doucement ; grande ambiance. On continue, pas après pas, jusqu’à arriver enfin au pied de la face Sud. Tout le monde est soulagé mais tout le monde redormira au refuge cette nuit. La traversée du glacier, malgré le fait que la neige soit toujours bien molle, est une ballade contemplative jusqu’au refuge avec plein d’images dans la tête.

 Arrivé au refuge, il est 17h15 soit après 17h de course ; Pinou le gardien nous indique que les 6 cordées qui sont parties au Whymper cette nuit ont toutes fait demi-tour, comme les 3 autres cordées qui devaient aller aux droites.

Nous n’étions que tous les 4 dans la montagne aujourd’hui. Il aura fallu y croire, c’est sûr. Sans Nico, j’aurai fait demi-tour 100 m sous le refuge.

Les droites, c’est le plus petit des 4000 mais c’est loin d’être le plus donné et surtout dans des conditions pareilles.

On se dit qu’on y retournera peut-être un jour, mais pas demain.

Et c’est après un bon repas (confit de canard, gratin dauphinois !), quelques parties de Uno, un digeo à la violette offert gracieusement par Pinou que l’on sombre doucement dans un sommeil paisible. Demain, le réveil est mis à 7h, ce sera grasse mat.

 Merci mon Nico !