10-08-2023
Queyras - Alpes Cozie N
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Mad
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5ème jour de notre semaine au pays du Viso, le jour tant attendu de l'ascension du "Re di Pietra". Depuis que j'ai commencé à faire de la montagne, quelques années à peine mais pas une sans que je voie de près ou de loin cette pointe étonnante qui domine si largement toutes celles qui l'environnent. Aussi le désir de s'y rendre est-il né très tôt, avant d'avoir les capacités de le faire.

Après quelques jours d'échauffement autour du refuge Giacoletti (surnommé le "Soreiller du Viso" par le sieur Emeric ; CR à venir ?), nous avons pris un jour de repos pour nous transférer au Quintino Sella, énorme établissement d'une centaine de places à l'organisation bien rodée qui accueille chaque jour le flot de randonneurs circumbulant l'imposant Monviso, les nombreux prétendants à son ascension par la voie normale et les plus rares "téméraires" (!) qui l'abordent par l'arete Est. Celle-ci se découpe très nettement face au refuge, avec un pouvoir magnétique aussi irrésistible que celui du sommet auquel elle mène mais qui, vu du bas, nous est caché par la tour Saint Robert, gros gendarme qui marque un changement d'orientation de l'arête. 

Le lendemain d'un dîner étonnamment délicat mais fort peu copieux pour un refuge de montagne, et après un petit-déjeuner toutaussi peu roboratif, nous nous élançons à 5h sur le sentier qui laisse bientot la place à l'énorme cône d'éboulis formé à la sortie du long couloir qui borde l'arête. Le cheminement s'avère plus aisé que cela en avait l'air de loin grâce et à un semblant de trace bien cairné. Quelques dizaines de mètres avant le névé ma vue se brouille subitement, et j'identifie assez vite que ma lentille gauche en est responsable. Je ne parviens pas à corriger le problème et je ne peux que constater à quel point il m'est difficile de progresser sur ce genre de terrain en voyant flou et sans perception de relief : 2 pas en avant, 1 en arrière... Je rejoins Mad, me lave les mains et tente de retirer la lentille fautive, sans succès : elle me colle à l'oeil avec une obstination qui n'a d'égale que son incapacité à corriger ma myopie. Poind la panique : dois-je abandonner une course si longtemps attendue ? Que va devenir mon oeil si je choisis de continuer ainsi ? Est-ce que je ne risque pas de plus grandes complications encore ? C'est que j'ai entendu 1 ou 2 histoires d'yeux qui font tourner de l'oeil... Je décide de retirer la lentille droite et de mettre mes lunettes de vue, qu'heureusement je prends toujours "au cas où" (sans avoir jamais pensé que le "cas" se présenterait), retrouvant ainsi une vue fonctionnelle indispensable à la poursuite de l'ascensio .

Pendant ce mini-drame ophtalmique s'en jouait un autre : les deux cordées qui nous précédaient ne trouvaient pas l'attaque après plus d'1/2h de recherche. Ça n'était pas tant le névé qui nous séparait du rocher qui posait problème que de prendre pied sur celui-ci. Nous finissons par aborder l'arête plus bas que ce que laisse entendre le topo, ce qui a pour effet d'inverser l'ordre des cordées : rien ne sert de courir...

Globalement l'ascension est très progressive. Simple randonnée alpine pour commencer, ce n'est qu'après 1/2h environ, au moment de rencontrer le premier mur (2 clous), que nous nous encordons. Jusqu'à la tour Saint Robert l'escalade est très discontinue, avec seulement quelques rares passages de III, sur une arête large et peu marquée, le long d'un itinéraire ponctué de marques jaunes ou oranges et de cairns. Arrivés à la Tour, dont la base est marquée par la présence d'une plaque à la mémoire d'un certain Antonio, plusieurs options s'offrent à nous. Nous renonçons à la gravir, pas tout à fait certains de ne pas exploser l'horaire dans les longueurs de IV+ expo annoncées. Nous remontons donc le dièdre à gauche (clou) qui débouche sur une vire où une ligne de cairns invite à s'echapper par la gauche dans un couloir péteux qu'il s'agirait de remonter et de traverser. La cordée qui nous précède s'y attèle mais nous sommes peu enclins à les imiter, préférant remonter le flanc gauche de la tour par de beaux murs fracturés, jusqu'au collet encore enneigé (mais aisément franchissable) puis le gendarme qui suit en amont. Tout ce passage joliment grimpant, pas vraiment décrit dans nos topos, semble avoir été shunté par les autres cordées, et nous sommes donc ravis de notre choix. Rappel de 25m au sommet du gendarme. Nous esquivons le gendarme suivant par la gauche, avant d'arriver à l'échappatoire vers la voie normale. Comme à l'habitude italienne, celle-ci est indiquée en très grandes lettres jaunes au pied d'un grand mur assez raide. Nous aurions pu l'éviter mais c'eut été dommage, car c'est une très belle escalade pleine d'ambiance ! (mon passage préféré). Encore un petit effort dans le rocher médiocre et terreux et nous rejoignons la fin de la voie normale. Le sommet est ornementé comme il se doit : haute croix métallique, grande gravure et nombre de petites plaques toutes avec une forte inclination pour les thèmes catholiques. Quelques minutes plus tard nous le partageons  avec une cordée d'italiens aussi sympathique que pittoresque (photo à l'appui).

Sans surprise, la nebbia nous a devancé, nous cachant la plaine du Pô. Mais le côté français (le plus important !) nous reste visible et la perspective vertigineuse atteste, s'il en était encore besoin, de la domination du Roi de Pierre.

Matériel : nous avions pris l'attirail complet de l'arête rocheuse, pour finalement ne poser que quelques pièces : une poignée de sangles, des friends du #0.5 au #1, quelques dégaines pour les pitons, cordelettes et l'occasionel cadre de vélo. Avis aux futurs prétendants : allégez-vous !