13-01-2024
Mont Blanc
AD
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Rémi aime le froid. Quand on lui propose de grimper au soleil, il répond "glace". Lorsque s'annonce une belle virée à skis en face sud, il répond "vent". Quand on lui suggère un sauna les doigts de pied en éventail, il s'écrie "amputation". Il est comme ça le Rémi, alors quand ce dimanche matin la météo annonce un bon -20 ressenti au-dessus de Cham', je sais que ce ne sera pas suffisant pour revoir le programme de la journée. On part donc sur un pelage de cul caractérisé.

 
L'objectif est une petite pépite, injustement méconnue : une course hivernale dans un cadre grandiose au milieu des géants, aux difficultés très modestes et pourtant peu fréquentée. C'est déjà assez surprenant pour le massif du Mont Blanc, si je précise maintenant que l'approche se déroule en 45 secondes depuis les remontées, vous me direz que le dahu n'existe pas. Et pourtant.
 
Nous enchaînons plusieurs remontées mécaniques sur le domaine des Grands Montets, jusqu'en haut du télécabine de Bochard, qui fait office de point culminant du domaine depuis qu'on a joué aux allumettes au sommet des Grands Montets. De là, on butte directement sur notre arête. Le topo ne ment pas, l'approche est minime. On n'ose pas trop laisser les skis ici à la vue de tous, alors on brasse quand même un peu pour faire dépôt à l'écart. On s'équipe avant de partir dans une pente, doublant ainsi un guide et son client.
 
On brasse dans une neige profonde et peu portante, déposée là par le vent. Quand enfin on prend pied sur le rocher, ça prend des airs de délivrance. De là, le cheminement évident offre les premiers pas rigolos, où les crampons viennent rayer le granit. Rémi est dans son élément et vole devant. Moi, je l'avoue, je suis plus à la traîne, pas très à l'aise dans cette neige peu consistante qui masque les prises. Un petit mental aussi, la faute à trop longtemps sans pratiquer. Heureusement, le ciel est bleu, le vent absent et les températures pas si pires. Je sens le Rémi déçu.
 
Nous émergeons d'une large fissure sur le haut d'un premier ressaut. Face à nous, un très joli gendarme, sorte de version miniature du monolithe des Cosmiques. Le cadre est magique, le soleil de la matinée fait rougeoyer le granit partout où il est visible, les cristaux de neige luisent au soleil et au loin se dessine l'ombre de la Verte et des Drus. La proximité de la station ne constitue en rien une gêne, l'ambiance est bien là.
 
Nous suivons une trace, qui nous amène à une traversée à flanc de rocher. La pierre n'est pas très loin, mais un friend coincé à l'entame offre une solide protection, même si aucun de nous ne souhaite jouer au pendule. Rémi caracole toujours en tête, je le suit corde tendue à bonne distance. Passé la traversée, on remonte dans une zone de rocher fracturé caché sous la neige. Là, la situation se tend. Nous sommes dans un cul de sac, et Rémi en cherche une issu, en vain. Du bas paraît débonnaire, mais je fais confiance au loustic pour ne pas niaiser là haut. Il finit par redescendre sur le "relais", en fait un bidouillage sur un friend pas terrible aménagé dans l'urgence quand je l'ai vu batailler.
 
Tandis que Rémi grignote un morceau, le guide et son client nous double. Le professionnel passe les difficultés, mais y passe un temps certain pour un guide (comprendre plus de 3 minutes). De plus, entre temps le ciel se bache, les nuages tombent et le vent forcit. Autant d'éléments qui nous convainquent de ne pas nous appesantir et d'acter le but. N'ayant pris qu'un seul brin, il nous est impossible de quitter l'antécime par la ligne de rappel équipée et il nous faut parcourir en sens inverse notre itinéraire. On reprend donc une dose de beauté, même si le vent s'occupe de congeler tout waow qu'on laisserait échapper.
 
En repassant devant le gendarme, on comprend que les traces que nous avons suivies était celle d'un précédent retour, l'itinéraire normal aurait dû nous amener sur l'autre versant de l'arête. On prend bonne note pour la prochaine fois (tu fais quelque chose le weekend pro'?)
 
Un petit rappel et le désescalade d'une belle pente de neige plus tard, nous sommes revenus aux skis. A ce stade, on ne nourrit plus de regrets, car vraiment ça n'a plus l'air sympa là haut. On se mêle aux nombreux skieurs dans la station et on met nos cuisses à rude épreuve jusqu'à Argentière.
 
En bas, nous noie notre frustration dans une bière bienvenue. "J'aurais bien aimé aller en haut quand même, c'est débonnaire comme course". Rémi de me répondre "Aglagla jaime ça".