11-09-2021
Autre
AD
Michel, Jean Phi
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La Dame Jouanne, voilà un nom qui fait frémir les amateurs de grès Parisien. C'est un secteur situé tout au sud du massif de Fontainebleau, proche de Nemours. La dame en question, c'est un magnifique (et immense) bloc, une flèche qui s'élève vers la cime des arbres, à une quinzaine de mètres. Ce qui en fait le bloc le plus haut de Fontainebleau. De quoi laisser goguenard l'amateur de verticalité alpine… jusqu'à ce qu'il lui faille se lancer à l'assaut de la bête avec une paire de chaussons pour seul allié. En général, à cet instant, l'abandon succède à la coulure au fond du caleçon.

Mais la Dame Jouanne, c'est surtout un immense chaos rocheux, éparpillé sur une large colline. Outre madame, on y trouve d'immenses blocs aux formes hallucinés. Il abrite plusieurs circuits modernes plus ou moins abordables, mais également une petite pépite historique : le circuit mauve, un véritable parcours d'entrainement à la montagne comme Fontainebleau su en générer dans les années 60. Un petit balisage fait de flèches pour indiquer la direction à suivre, de points pour indiquer un pied imposé, parfois entourés pour indiquer la réception d'un saut, et enfin de nombreux numéros pour signifier les blocs principaux et rythmer le parcours. Le jeu étant d'enchainer tous les numéros à un rythme plus ou moins soutenu et en posant le moins possible le pied au sol, dans une grande simulation de course en montagne. Une pratique qui eu ses heures de gloire et qui servit d'école à d'illustres alpinistes aux origines Parisienne. Le parcours mauve se trouve ainsi associé à quelques noms iconiques, comme Lucien Berardini et Jacques de Lepiney qui ont laissés leurs noms à plusieurs passages, ou René Desmaison qui le parcourait au pas de course. Malheureusement, cette pratique sombre peu à peu dans l'oubli, les grimpeurs préférant la version moderne qui consiste à singer une sortie à Mroc en se rendant à pied de blocs en blocs et à passer parfois la journée sur un unique mouvement. 

Il se trouve que je suis assez friand de ces parcours montagne, qui m'ont accompagné lors de mes années parisiennes, alors que j’étais un jeune novice rêvant à là-haut. Mais je n'avais jamais osé m'attaquer à ce parcours-là, dont la réputation de forte exposition m'effrayait autant qu'elle me fascinait. Fort d'un peu plus de bouteille en rocher péteux, je décide ce jour d'aller voir de quoi on parle. J'y vais tout de même avec un dispositif moderne : deux crashpad et un compère, plus dans l'idée de faire un repérage et quelques beaux blocs. Le tout à un rythme tranquille, plutôt qu'essayer l'enchainement dans la journée.

La journée débute par la recherche de l'attaque à la suite d'une approche qui nous aura pris environ ... cinq minutes. Nous sommes seuls pour l'instant dans un superbe sous-bois aéré, entre pins et bruyères. On n'arrive pas à trouver l'attaque "officielle", alors on prend le parcours en route, sur une flèche quasi effacée découverte par hasard et qui nous guide jusqu'au numéro 1. Puis l'enchainement commence.

La grimpe est plutôt facile, dans un style plus "montagne" que "bloc'n'bleau" : bacs, cheminés, renfougne, traversées, désescalade. L'ensemble est assurément très ludique, en plus de se dérouler sur un grès sculpté de toute beauté. Cependant, déplacer les affaires de camp en camp, prends un temps certain et hache la progression. Vu la configuration, les crashpad font perdre plus de temps qu'ils n'apportent de sécurité. En effet, on comprend ce que l'exposition signifie sur ce parcours. Les traversées se déroulent souvent au-dessus de véritables dents de requins qui n'attendent qu'une chute pour se nourrir, et quand il faut sortir par le haut, c’est à une hauteur déraisonnable. On s'approche parfois du highball, un sous-genre de la pratique du bloc qui désigne des blocs aux dimensions imposantes et dont la hauteur impose une sacrée confiance dans ses capacités. Une pratique que recommande vivement l'Association des médecins spécialistes en tétraplégie, contrairement à la FFME qui trouve que c'est un peu con comme concept.

Délaissé, les blocs se couvrent petit à petit de lichen, et trouver son cheminement n'est pas toujours aisé : c'est une très belle école de recherche d'itinéraire. Il faut souvent progresser prudemment et épousseter les prises pour les nettoyer du sable et des épines de pin qui les recouvrent. La progression permet de découvrir de nombreux passages dans le chaos, aux noms évocateurs tel que "la cheminée du gruyère du requin", "la traversée du rigoulot" ou "la fissure à pipi". On passe par la "mine aux demis", une superbe traversée dalleuse au niveau du sol (heureusement car c'est lisse) pour arriver au "Genévrier", un bloc absolument magnifique que l'on visite en long et en travers par plusieurs traversées jusqu'à son sommet, 10m au dessus du pad. De là, on se dirige vers "le rocher bouffé aux mites", qui porte bien son nom et ne rougit pas d'une comparaison aux Taffonis corses.

Malheureusement, ici encore plus qu'ailleurs à Fontainebleau, l'érosion générée par des générations de grimpeurs et de randonneurs a chassé le sable qui faisait office de socle aux rochers. Certains blocs, aussi massif soient-ils, s'en retrouvent fragilisés et manquent de basculer sur le petit être inconscient qui ferait sa sieste sous leur ombrelle. Les pierres en question sont isolées par une fine clôture, et il nous faut les esquiver en mettant pied à terre, le cœur serré. 

Nous progressons ainsi jusqu'à madame Jouanne, qui se trouve au milieu du parcours. De là, je tente de m'engager dans "la tubulaire", le crux du parcours. Après m'être péniblement élevé jusqu'à la moitié, un coup d'œil vers le bas avant d'engager le pas me convainc … de redescendre sur mes pas. Celui-là, c'est trop pour moi : le pas est 6 ou 7 mètres au-dessus du sol et cette fois ci, pas de bac ou de prises franches. Il faut juste être sûr de soi, ce qui n’est assurément pas mon cas ce jour là. Je me rabats sur un numéro orange adjacent, très prisu et qui me permet de grimper sereinement sur le dos de madame. De là haut, la vue est belle et je suis pétri d'admiration pour les anciens, qui prouvaient là leur valeur pour mieux taper dans l'œil d'un potentiel compagnon de cordée. A l'époque ni le GAUL, ni Tinder n'existaient. 

Signalons la présence là-haut d'un relais chainé, rareté exotique sur ces terres de bloc. Il est ainsi possible de s'encorder pour grimper plus sereinement (en moulinette), à condition d'avoir trimballé jusqu'ici une corde. Ou de posséder un talent de tresseur de lacets. Ne pouvant rappeler, je désescalade par l'autre versant, là où il y a le moins de hauteur. De là, le parcours continue avant de revenir sur ses pas. On décide d'attraper en vol la fin du parcours, pour s'engager dans le dernier quart. Peut-être est-ce parce qu'on s'y est habitué durant la journée, mais ces derniers blocs me paraissent moins expo, en offrant souvent des pas proches du sol. Avec tout de même encore de bien beaux mouvements, comme dans la "traversée à Mimich" qui se déroule sur un rocher dont les formes rappellent les fanons d’une baleine. Je fini par poser le pied sur le petit "A " cerclé de mauve qui marque l'arrivée. Seule une petite moitié du parcours a été parcourue, mais je sens la fatigue dans les cuisses et les bras. Quelle classe incroyable que ce cheminement.

Le lendemain, j'irais profiter de blocs aux hauteurs plus humaines dans le secteur J.A. Martin, qui propose un parcours orange très joli, et un bleu bien corsé. Autant dire que j'ai coché surtout des oranges. 

En guise de conclusion, ce parcours violet est un itinéraire de toute beauté, qui me semble largement justifier le trajet depuis Lyon. Certes, pas de glace ou de neige ici, et aucun sommet à 4 chiffres pour se la raconter devant les pépètes lors du bal des guides (ou de la rentrée du Gaul). Mais une vraie pépite de grimpe, une école de tout ce qu'un montagnard doit connaitre et un saut dans le temps bienvenu. Ma description de l'exposition vous aura peut-être fait peur, mais sachez que les difficultés ne sont jamais une surprise, et qu'il est toujours possible d'esquiver ou de désescalader lorsque le moral se barre jouer à la pétanque.