30-12-2022
Italie
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Aujourd'hui, c'est le grand jour. L'aboutissement d'années d'entraînement, de travail, d'abnégation et de persévérance. Je me sens prêt, mais malgré tout un peu tendu. Et si je n'y arrivais pas ? Et si je calais en route ? Surtout, ne pas partir trop vite, se caler sur les autres, et ne pas hésiter à faire des pauses ; le rythme doit être régulier si je veux tenir sur la durée ! C'est stressant et je n'ai pas bien dormi, nerveux à l'approche de l'échéance.

 

Mais avant le repas du réveillon à 12 plats, épreuve tant redoutée d'ultra-endurance Italienne, il faut boucler ce joli tour à ski prévu par Emeric ! L’itinéraire prévu enchaine la Cima Sebolet, le Colle di Vers, la Rocca la Marchisa, et enfin un col sans nom pour redescendre par un vallon parallèle, pour un D+ total de 1800m. Tant mieux, ça devrait nous ouvrir l'appétit, et mettre toutes les chances de notre côté pour tenir jusqu'aux desserts voire même jusqu’à minuit !

 

Le départ est donné de la Cappella di Sant Anna, au bout de la route, malgré la présence simultanée des carabinieri et d'un panneau d'interdiction, qui ne nous fait pas flancher. Emeric s'est entouré d'une équipe de choc pour la boucle à venir ; Bruno, vainqueur récent d'une voie royale au Mt Blanc skis sur le dos, à qui quelques 3000 ne feront pas peur. Florent, grimpeur de l'extrême dopé aux multiples caffès, prêt à courir sur les toutes cimes environnantes. Sylvie, la femme qui murmure à l'oreille de la neige, au palmarès qu'on ne pourra présenter ici sous peine de saturer les serveurs du site. Thibaut, spécialiste du chausson, un petit nouveau au GAUL dont la caisse semble cette année aussi monstrueuse que les 30 morveux dont il a la charge lorsqu'il n'est pas en train d'enchaîner les conquêtes (de sommets). Et moi-même, qui malgré mon début de saison aussi light que ma tendance à l'exagération, tenterai de suivre ces joyeux lurons à coup de poignées de crocos.

 

Dès le départ, Sylvie nous fait remarquer un pont tout à fait propice qui nous ferait habilement passer rive gauche ; mais, cherchant l'aventure, assoiffés de péripéties qui nous hisseraient au panthéon des Gaulois aventuriers, nous préférons traverser le torrent 50m plus haut, sur des rochers... heu... incroyables, puis à travers des vernes dignes de l'Amazonie, avant de rejoindre la route par un talus qui sous la lumière matinale prend des airs de Grandes Jorasses.

 

Rassasiés en terme d'aventures, nous gardons sagement la route jusqu'à sortir sur un vallon aussi plat et large que beau, "un terrain idéal pour le snowkite" dixit le Flo. Là, une première pause nous permet de revoir nos plans, au vu de l'enneigement qui au lieu de s'améliorer en gagnant en altitude, s'amenuise franchement, avec des crêtes complètement pelées par le vent et des faces tachetées même en versants nord.

 

Sans être sûrs de la suite, nous nous dirigeons vers le Colle di Vers, quasiment en deux groupes puisque Thibaut et Florent semblent avoir amené leur aile de snowkite invisible et galopent 300m devant. Nous, simples mortels, progressons doucement dans ce vallon, d'autant que la nature semble taquine ; les seuls quelques flocons posés sur le sol de la région restent collés sous nos peaux !! Chacun regarde son voisin pour s'assurer qu'il ne rêve pas, non non, nous bottons bel et bien sur les 3 taches et demi du vallon qui ne sont pas des plaques gelées !

 

Au pied de la Cima Sebolet, nous ne pouvons résister et filons à l'assaut du couloir N menant à la crête. Emeric nous promet une descente de l'autre côté dans une belle transfo d'avril, alors je chausse les crampons et m'élance la bave aux lèvres, tandis que Florent décide d'attendre d'être au plus mal dans la pente pour faire de même. Thibaut et Bruno sont plus raisonnables et profitent tranquillement de mes traces comme les coquins qu'ils sont, mais le hold up du siècle vient d'Emeric et Sylvie qui torchent le couloir fièrement skis aux pieds dans un style Michalesque.

En versant Sud, les milliers de m² d'éboulis ne semblent pas avoir transformé (il faut dire qu’il y a du vent), ce sera donc un aller-retour. L'intérêt du sommet, distant à 300m de croupe caillasseuse, me parait tout à fait discutable, mais Emeric est déjà parti en hurlant qu'il FAUT CONQUERIR L'INUTILE, TOUS LES INUTILES ! Je dois admettre que le point de vue (d’Emeric, mais surtout depuis le sommet) est tout à fait plaisant, sur une partie des Alpes totalement inconnue hormis le Viso, ce qui donne une vraie dimension voyage à notre entreprise. La redescente à pied de la croupe est à peine moins intéressante que la redescente à ski dans le vallon, qui se fait dans une neige variée mais jamais bien terrible.

 

Nous remontons ensuite à pied les quelques dizaines de mètres qui nous séparent du très pelé Colle Di Vers, et là nous retrouvons une joyeuse troupe de Gaulois finissant leur pique nique, qui nous couvrent d'éloges sur notre ascension du précédent couloir. "Au début je me suis dit, ça peut pas être eux, déjà ils sont partis au moins 1h avant nous, et en plus c'est n'importe quoi, y'en a la moitié à pied, la moitié à ski, y'en a un qui bouge pas depuis 20min, c'est des gros branquignoles à tous les coups, ça peut pas être du Gaulois !"

 

Ravalant notre orgueil, nous rechaussons fièrement et descendons la tête haute dans le vallon de l'autre côté, jusqu'à un replat qui signe un nouveau repeautage. Une remontée quelconque nous mène au Colle delle Sagne, puis au Colle delle Sagnères, où un joli couloir encaissé plein N doit nous attendre d'après Emeric... Et bien devinez quoi, c'est le cas ! Il faut dire, sans diminuer le mérite de notre encadrant, qu'on le voyait à la montée dans le premier vallon. Prenons un instant tout de même pour noter les 40m de caillasses infâmes séparant le col du début de la langue de neige, aussi bien cachés d'en bas que le beurre dans les Gnocchi della Val Varaita de la veille (#ironie #privatejoke #zaviezqu’àêtrelà).

 

Une fois étant coutume, c'est Emeric qui part en déminage, à pied d'abord dans les premiers mètres aux rochers affleurants, à ski ensuite dans de belles pentes que nous coterons 4.1. Le bougre, à l'aise comme un Gaulois devant une carafe de rouge, dévale la pente en un clin d'oeil, suivi de près par Thibaut et moi, puis Bruno dans un style parfaitement parallèle. Florent et Sylvie, qui avaient mis leurs crampons dans les premiers mètres, ferment la marche. La victoire est totale, le couloir est vaincu avec marge, et seule la perspective de la nuit nous empêche de chercher un couloir en 5 dans les environs pour définitivement clore les débats et assoir la suprématie du GAUL sur les montagnes locales.

 

Nouveau rebondissement, le vallon à l'aplomb du couloir est totalement inskiable par manque de neige. Nous devons donc traverser à flanc vers un collu sans nom pour rejoindre le vallon par lequel nous sommes montés, et les requins dès lors omniprésents, jusqu'au fond de vallon, nous confirment que nous avons mangé notre pain blanc, pardon, notre foccacia di Recco. La fin est sans intérêt ni difficulté particulière, nous nous laissons tranquillement glisser jusqu'à la route puis jusqu'au parking, en usant des bâtons régulièrement, comme si nos semelles criblées d'impacts (légers) commençaient à manquer de glisse...

 

Les facilités du jour étant derrière nous, nous pouvons alors nous concentrer sur les difficultés du soir, et cela risque d'être une autre paire de manches... Quelques anciens vers Gaulois en tête, nous attaquons les préparatifs d'avant course...

 

"Qu'importe les entrées, qu'importe les desserts

Qu'importe la pâte feuilletée, le beurre, la crème entière

Il ne peut exister ni de femme, ni d'homme

Qui ne digère bien mieux après deux pintes de rhum"