09-07-2021
Ecrins
1800
1700
3534
PD
14
1

Pleuvra, pleuvra pas ? C’est sans nul doute la question qui aura le plus agité les esprits de ce camp 2021. Quand c’est une course d’une certaine ampleur et un bivouac qui sont en jeu, l’incertitude et l’angoisse sont à leur comble – les yeux levés vers le ciel bas, le cœur pendu aux nuages lourds. C’est dans cet état d’esprit romanesque, au lyrisme à peine accentué pour les besoins de ce CR, que nous nous tenions Aurélien, Xavier Gok, Clément et moi en ce jeudi certes plus gris et pluvieux que la veille, mais bien moins que le lendemain (indice de confiance 4/5). La journée commençait bien : les prévisions annonçaient la cessation des hostilités célestes vers 16-17h, ce qui nous laissait largement le temps de monter au bivouac, à 2800m, au pied de l’arête orientale du Pic Gény dont nous avions prévu la longue traversée jusqu’au vallon du Soreiller. Le programme devait s’y poursuivre, au lendemain d’un repos bien mérité au refuge du même nom, avec une ascension facile mais non moins symbolique de la célèbre aiguille Dibona.

17h : Aurélien et Clément arrivent au camp, accueillis par un rideau de pluie.
18h : Qu’ils se tournent vers le ciel ou MeteoBlue, les regards parviennent à la même conclusion : il pleut et il pleuvra encore quelque temps.
19h : La pluie a repris, après s’être arrêtée pour la 7ème fois de la journée. On noie notre désespoir dans la soupe.
19h40 : L’heure butoir est dépassée. Quoique l’espoir renait avec l’apparition d’interstices lumineux entre les nuages, partir maintenant nous ferait arriver à la nuit tombée, nous ajoutant potentiellement d’inutiles difficultés à trouver chemin et bivouac. La décision est prise rapidement, les montres synchronisées et les alarmes réglées : départ prévu à 3h30 pour débuter la journée… de nuit, par ce que l’on aurait tant aimé éviter : une course de 12h minimum avec 1800m de dénivelé positif dont 700 en rocher.


3h40 (la responsabilité de ces 10 min de retard, et de bien d’autres encore qui suivront, incombent à votre serviteur – la rédaction de CR se mérite !) : Départ à la frontale dans le vallon des Etançons, en direction du refuge du Chatelleret, dont nous quittons le sentier d’accès peu après la passerelle, pour monter en direction du glacier du Plaret, encore invisible.


6h30 : Arrivée aux emplacements de bivouac. Le chemin s’est révélé fort bien tracé et entretenu. Le soleil se lève et chasse les derniers nuages. Toute la l’assemblée majestueuse - Meige, Ruines, barre des Ecrins et Ailefroide - se révèle saupoudrée de sucre glace sous la pâleur bleutée de l’aube.
7h : Après de longues discussions entre esprits embrumés sur la meilleure stratégie pour aborder la base compacte, humide et ceinte de neige de l’arête, nous nous équipons et traversons le court névé qui nous sépare de ce qui semble, vu de loin, être le point d’attaque le plus facile (un peu plus haut sur la droite, au niveau d’un semblant de vire). Sur place nous nous félicitons rapidement de notre choix et nous lançons avec délice sur le rocher. Devant nous s’étendent, peu visibles en raison des ressauts, 800m (selon le topo) de granit varié mais presque toujours propre, couvrant toutes les nuances depuis les moutonnements gris, pales et compacts des dalles, jusqu’au relief rouille, flamboyant et torturé des passages en arête, en passant par les vagues dièdres orangés mouchetés d’un kaléidoscope de lichens vifs. On goutera même, cerise vertigineuse sur un gâteau déjà bien ambiancé, au plaisir d’une ou deux (trop) courtes traversées aériennes. Le tout presque intégralement en corde tendue, menée de mains d’experts par Aurélien et Xavier, nos leaders de cordée. La section médiane, plus couchée mais non moins intéressante, sera l’occasion pour les deux autres, débutants, de s’initier à toute la panoplie des techniques de protection en mouvement.


13h30 : Arrivée au sommet (3534m) sous un ciel radieux. Le panorama rappelle à ceux qui l’ont oublié pourquoi ils se sont levé si tôt (ce qu’ils ne savent pas encore, c’est que l’interminable descente achèvera de leur donner raison). Le déjeuner ainsi qu’une autre cordée sont derrière nous, aussi nous ne trainons guère après le quart d’heure réglementaire d’émerveillement et d’obsession photographique. La descente est trop pénible pour s’y attarder longuement à nouveau : on retiendra qu’en ce début de saison, qui plus est au lendemain d’une longue journée de pluie, l’accès à la brèche Rouget peut révéler quelques blanches surprises propres à ralentir la progression. Devant un couloir à moitié gelé qui n’a manifestement pas encore suffisamment vu le soleil, nous décidons de recourir à un rappel de 25m (nous inspirant en cela librement de la cordelette neuve installée à cet effet par de lumineux précurseurs). La descente en rive droite de la brèche, plus sèche, n’est guère moins malcommode : elle se fait selon un cheminement peu voire pas du tout indiqué, dans un dédale de vires mal définies, poussiéreuses, piles d’assiettes instables et occasionnellement exposées. Au final, il nous aura suffi de suivre la direction générale (le bas) de notre mieux pour prendre enfin pied sur les névés du vallon du Soreiller – mais, vous l’aurez compris, non sans déplaisir en ce qui me concerne. La déshydratation, l’insolation et l’hypoglycémie s’ajouteront à la fatigue pour me pousser au bord de la rupture. La traversée des névés aura été pour moi une épreuve longue et aliénante, aggravée par ma peur irrationnelle mais viscérale de la neige qui glisse (ça va mieux depuis, merci), et que je n’ai surmontée que grâce aux infatigables conseils et encouragements de Xavier – qu’il en soit remercié !


Nous retrouvons nos deux compères à 18h autour de rafraichissements longtemps fantasmés. Nous apprenons que les névés n’auront pas laissé indemne Aurélien non plus, qui s’est ouvert le mollet avec ses crampons (deux points de suture reçus le lendemain).


L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt : samedi matin nous ne nous sommes pas levés tôt. C’est donc sans surprise que notre avenir s’avéra bref au Soreiller. Après avoir remonté le long névé au pied de la voie du Nain (nouvelle épreuve pour moi, mais vécue avec davantage d’enthousiasme que la veille), nous tombons sur deux cordées dont la lenteur restera aussi mythique dans nos esprits qu’un célèbre ralenti des frères Wachowski. Après une demi-heure d’attente, nos prédécesseurs sont enfin équipés et encordés ; 15 minutes plus tard le premier grimpeur, inexplicablement chargé d’un sac digne d’une expédition hivernale, atteint le relais 10m plus haut. La lenteur de ses gestes au relais, qu’on ne peut entièrement attribuer à la raréfaction de l’oxygène en cette altitude, aura raison de notre détermination. Las, les chaussons sont à la Bérarde, et notre niveau d’escalade ne nous laisse guère d’autres options en grosses que le retour au camp…


Sans rancune : la Dibona, pour sûr, nous attendra !