30-07-2022
Ecrins
1600
3769
TD
0

Eteignez le poste, frottez les yeux, branchez les neurones ; il va falloir suivre...

 

Nous voilà tous les trois posés dans le train pour Grenoble, à regarder défiler les champs de tournesol et de maïs cramés. Il parait que les glaciers sont dans un état plus piteux encore. Qu'importe, nous partirons dans une voie rocheuse ! Le fameux guide Narcisse Candau en a ouvert quelques unes en Oisans, souvent jolies, dont un pilier S au rateau W qui fait très envie et dans lequel Romain a accepté de m'accompagner. Nous emmenons quelques friends, une paire de chaussons, et un Antoine dans la manche, afin de ne laisser aucune chance à la montagne.

En parlant de manches ... vous allez rire ... ça me fait penser que je n'ai pris ni veste, ni softshell, ni doudoune.

Il faut dire que lors de la préparation de la course, nous avons appliqué par anticipation les préceptes d'adaptation à une fin de l'abondance annoncée : 1 corde pour 3, pas de réchaud, le pari de trouver de l'eau assez haut, une sélection de coinceurs triés sur le volet, une quantité de sangles dosée au gramme près et un chronogramme millimétré.

Sur le quai de la gare, on constate que Romain a quand-même pris des tatanes et l'on apprendra plus tard que Julien a une tenue de rechange. Et pourquoi pas un matelas, tant qu'on y est  ?!

Après un efficace trajet en train, nous faisons correspondance à la gare de Grenoble. 1h, c'est suffisant à Antoine Gump pour taper un sprint au Decath' se recharger en manches. Puis un bus nous amène jusqu'à Bourg d'Oisans avec 20 mn de retard. Sous la harangue un tantinet véhémente du postillon, la correspondance pour la Bérarde se fait au pas de course, et à peine sommes nous sortis de la ville que voici le téléphone du chauffeur qui sonne. "PUTAIN MAIS ILS ME FONT CHIER, C'EST PAS FOUTU DE MONTER DANS UN BUS!" A deux doigts de faire demi-tour au frein à main, il lui faut retourner chercher des retardataires qui n'ont pas eu le temps de sortir leurs affaires de la soute du précédent bus. L'Oisans tente de rattraper son retard sur Cham' en matière de sympathie. 

Le bus nous pose à Saint Christophe et malgré les 17h au compteur, il fait encore très chaud. Nous parlons peu pendant les 200m de D+ raides qui nous mènent au parking voiture (mais qu'est-ce que 200m de plus, quand on fait déjà 1700m avant l’attaque ?!). Nous parlons encore moins pendant la montée au refuge dont j'avais le souvenir qu'elle était très, très longue, mais qui semble avoir encore été étirée depuis.

Si vous êtes pressés d'aller à la Selle, ni les framboises du bord du chemin ni l'ingestion de dragée Fuca ne vous seront d'un quelconque- secours ; prenez seulement votre mal en patience. Profitez-en plutôt pour admirer le paysage, et méditez sur l'énigmatique toponymie du coin : "aiguille du plat de la selle", "pointe de la selle", "tête du replat", "ruisseau de la sèche" ...

Etonnamment, l'ombre progresse plus vite que nous dans la montée. Finalement le bivouac est posé 20min après le refuge, et alors que Romain immortalise les cimes qui s'enflamment les unes après les autres, qu'Antoine résout son problème de cuillère manquante en transformant son paquet de semoule en extrudeuse, je savoure pour ma part cette petite banquette d'herbe que nous nous sommes trouvés, autant que ma quiche et le ciel étoilé qui s'annonce.

La nuit est claire et les bruits d'éboulements et d'effondrements sont si fréquents qu'on se croirait au bord d'un torrent. C'est qu'on aurait presque froid lorsque l'humidité de la pelouse nous tombe sur le nez. Mais les meilleures choses ont une fin, le réveil finit par sonner et il nous faut remballer ce petit camp paradisiaque, pendant que les premières cordées du jour déboulent sur le chemin.

Le dit chemin devient une sente, puis une trace, et enfin nous remontons le bientôt névé de la Selle en direction du pilier. Sur la toute fin de l'approche, le glacier jusqu'ici débonnaire semble un peu plus joueur, et prendre pied sur le rocher médiocre de la base de la paroi semble peu dur mais improtégeable. "Nous n'avons pas encore d'enfants, aussi nous nous devons d'assurer notre descendance", dit-on à Antoine pour l'envoyer en première ligne. Ses protestations et autres arguments bidons du style moi-non-plus-jé-pas-d'enfants sont balayés d'un revers de main ; nous avons assez perdu de temps comme ça !

Le topo laissait entendre une première partie chaotique pour rejoindre le pilier, mais nous découvrons un itinéraire logique et agréable. Nous progressons à bon rythme jusqu'à une plateforme, qui marque la base du pilier proprement dit. Une petite pause, une petite crotte abandonnée sous un cairn, et nous voici parés pour de la grimpe sur un rocher trois étoiles.

Prenant sans doute goût à partir au casse-pipe, ou peut-être motivé par Romain passé en mode paparazzi et la perspective de changer le logo du GAUL en lui-même dans une photo Edlingesque, Antoine fait toute la première partie du pilier en tête. De la corde (très) tendue sur un rocher impeccable, oscillant entre II+ et IV+ avec une majorité de III+. Il ne voit même pas le pas de 5a+ et me cède la place au pied d'une dalle cotée 5, "un truc de grimpeur" il semblerait.

Arrivé sous le surplomb clé, coté 5c/6a, il me semble distinguer de gros bacs qui me font douter que l'on y soit déjà. Romain et Antoine semblent eux assez sûrs. "C'est sûrement le ressaut en 4c avant le crux", dis-je en partant gaiement en grosses. "Prends moi sec stp, je vais mettre les chaussons", ajouté-je 3m plus loin, sous le regard de mes compères que je sens quelque peu goguenards.

Le mec a les fesses rouges, mais persévère. C'est à ça qu'on reconnait les meilleurs Gaulois. Un premier surplomb bien physique, "Le pas est passé, la suite déroule les gars!". Bon une heure après, ayant à peine bougé d'une dizaine de mètres, je comprends en contemplant mes pieds que la suite déroulait que dalle. C'est chaotique, franchement grimpant, délicat à protéger et peu "relayable" (Je vous jure, ça semblait pourtant débonnaire d’en bas !). La corde se coince, ça manipe pour improviser des relais, on ne s'entend plus, et il m'arrive de hurler un "ravaaaaaalllllleeeee" paniqué lorsque se rapproche la perspective d'un pendule long courrier sous des bombés. On finit par se retrouver tous les trois sur une confortable plateforme. Le crux est passé, on ferait bien une sieste mais il reste encore un peu de chemin jusqu'en haut.

Antoine reprend la tête pour la dernière partie du pilier, à nouveau plus roulante. Romain décline l'invitation de mener la cordée en se disant très content de se balader derrière tranquillement, mais il me semble percevoir un léger manque d'entrain de sa part pour ce faible sommet après le Pelvoux, l'Ailefroide, le Peigne et la fameuse aiguille d'Août à Pralognan.

Finalement, nous arrivons sur une très belle lame qui vient clore ce joli pilier. Un rappel nous dépose dans une brèche, on quitte le rocher irréprochable pour retrouver de la porcelaine en équilibre. Une rampe facile, et nous rejoignons la voie normale du Rateau ouest, véritable autoroute qui amène sur ce petit sommet (eh, oh, on ne dénigre pas) des wagons entiers d'apprentis alpiniste.

Nous ne sommes pas en avance mais galvanisés par la réussite du pilier, nous nous lançons bravement dans les 100m de II+ qui nous mènent au sommet, belvédère incroyable (j’insiste !) d'un massif déchu, qui fut autrefois peuplé de glaciers magnifiques mais qui commence à se rapprocher sérieusement du Mordor. Tout ça à cause des Chinois et des Indiens, qui polluent grassement alors que je m'échine à sauvegarder notre climat en triant mes déchets et en éteignant les pièces vides.

La descente est assez rapide, malgré le début sur un glacier de la Girose nettement plus tourmenté que ne le laisse supposer IGN. En effet, au pied de ce dernier, notre président afficionado des remontées mécaniques profite de notre encordement pour nous moufler dans une benne pour La Grave, malgré nos tentatives de le raisonner pour profiter des 1800m de descente bucolique jusqu'à la Romanche qui nous tendaient les bras.

La suite sera l'allégorie d'une course avec mes 2 compagnons de cordée ; facile, souple et débordante de sérénité, avec un bus au bout de 10min à La Grave, un godet à Grenoble puis un train à bord duquel on pourra constater les maïs et les tournesol encore plus au bout du rouleau que la veille... Sans doute comme les glaciers.