23-06-2023
Ecrins
1150
PD
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Quand le gardien m'annonce que la route est fermée suite à un éboulement, et que ça porte à "4h/4h30" le temps pour monter au refuge, j'ai quelques angoisses. Angoisses qui se transforment en un "naaan mais t'inquiète, ils vont la rouvrir le temps du weekend!", pensée magique encouragée par un ouvrier nous annonçant "on a presque fini, on est en train de remballer." Alors on prends notre temps, on coupe un melon, on discute de tout et de rien. Bref, la belle vie. De retour au barrage, l'ouvrier a disparu et c'est à sa remplaçante de nous annoncer la mauvaise nouvelle "non les gars, vous ne pouvez pas passer et la route ne rouvrira pas pour le weekend !" On visualise les 4h de montée, il est à présent 16h, ça pique ...

Pas les derniers pour flairer les mauvais coups, on décide alors d'adopter la technique dite "de l'embuscade" : attendre le départ des ouvrier et de se frayer un chemin à travers le chantier désert. Après tout, en cette fin de semaine ils ne devraient pas tarder à rentrer chez eux ! Et effectivement, notre patience est récompensée lorsque l'on voit la petite équipe partir en weekend, alors qu'avec un rictus on soulève la barrière avant d'avaler les 6km de route qui nous manquait. Fiers de notre méfait, tout aurait pu s'arrêter là, si alors que nous garions le camion sur le parking du refuge du Giobverney, le gardien du dit refuge n'avait pas déboulé furax. "Non mais les gars vous foutez quoi là ? Vous avez soulevé la barrière c'est ça ? Mais c'est pas possible les narvalos, vous dégagez et vous retournez en bas ! Putain mais on aura tout vu."
Ouille, les 4h de montée vont vraiment piquer en partant du parking à 17h ... Pendant qu'on gare le camion à notre point de départ, les diablotins n'en mènent plus large, la petite queue crochue entre les jambes. La situation semble perdue, mais voilà que le même gardien déboule avec son camion "bon je vais pas vous laisser dans la merde, montez je vous dépose". On parle donc de quelqu'un qui, après nous avoir vertement engueulé, se tape quand même 12km A/R pour faire le taxi pour deux inconnus qui ont voulu jouer et ont perdu. Je réclame une médaille pour cet homme !

Enfin partis, il nous reste quand même 800m de dénivelé à avaler au pas de course pour monter au refuge du Pigeonnier. On essaye de ne pas trainer dans les lumières du soirs, mais nous arrivons quand même un peu tard pour le repas. Et ça tombe bien puisque là haut, le gardien a oublié de nous demandé au téléphone si on prenait le repas, donc dans le doute il ne nous a rien préparé. Le weekend commence bien ! Mais ce serait sous estimer l'hospitalité en ces lieux, le temps de poser nos affaires dans un refuge quasiment désert en ce vendredi soir, et voilà qu'arrivent deux côte de porc avec une petite sauce au vin et aux herbes, cuisiné minute. Quel plaisir ! On profite du repas pour paufiner le programme. Partis pour deux jours, on hésite entre rocher et acclimatation le lendemain. Le gardien tranche vitre pour nous : le refuge est désert et demain personne n'ira aux Rouies. Alors que dimanche ... L'argument est pertinent, percutant dirais-je même. C'est acté, ce sera donc les Rouies le lendemain matin !

C'est que la solitude, c'est une valeur importante en montagne. Une course peut être magnifique, elle ne le sera jamais autant que lorsque le regard ne rencontre que le visage du compagnon de cordée, encadré des cîmes lors du traditionnel tour panoramique à 360° une fois au sommet. Trouver cette solitude est souvent une mission délicate. Pour cela il faut soit aller chercher des itinéraires oubliés, ou bien difficiles d'accès, ou encore à la difficulté ou à l'engagement certain, ou tout simplement en bien mauvaise conditions. Parcourir un itinéraire facile, classique et en très bonnes conditions, c'est mission impossible, personne n'y pense. Sauf quand le tirage de cartes nous offre une quinte flush royale ...

Après une nuit courte mais agréable, nous nous levons à 3h. à 3h45, nous nous quittons le refuge dans la nuit noire. On y vois rien, heureusement un sentier évident nous guide dans la lueur des frontales. Le premier névé nous rassure : l'absence de nuage à permis un très bon regel, malgré la température élevée (12°). La neige descend très bas en ce début de saison aux conditions exceptionnelles, alors il ne nous faut pas longtemps pour quitter le sentier et nous engager dans les traces de nos prédécesseurs, aidés par les premières lueurs de l'aube. La pente se redresse et nous additionnons, patiemment, nos pas pendant que nous zigzagons en direction d'un étroit couloir. L'emprunter est une option qui rallonge la course, mais arrivé à son pied ce n'est pas nécessaire : à notre gauche une large pente de neige verrouille l'accès au glacier. Nous la remontons prudemment car sous celle-ci de larges dalles rocheuses affleurent.

Arrivés sur le plateau, les crêtes autour de nous s'illuminent, les gendarmes formant autant de flambeau s'enflammant dans la lumière du début du jour. Nous avançons nonchalamment sur un glacier bien bouché et sur une neige toujours très dure. Il ne nous faut pas longtemps pour rejoindre le pied du ressaut terminal, malgré que je sente handicapé par l'absence d'acclimatation. La pente finale est raide, on remonte dans des traces qui forment de profondes marches. Puis nous voilà au sommet, il est 7h30. Il est encore tôt, et la neige mériterait de ramollir un iota pour notre descente, alors on prends le temps de profiter. La nostalgie des courses passés et l'excitation des futures nous occupe l'esprit un moment, juché sur ce belvédère à la position privilégiée dans les Ecrins.

Puis voici arrivé le temps de redescendre. La neige bien portante ne nous oppose aucune difficulté, seuls les derniers névés avant le refuge verrons nos jambes s'enfoncer. Nous franchissons la porte de la cabane à 10h30. Il ne nous reste plus qu'une très longue après midi à lire, bronzer et profiter de la satisfaction d'avoir parcourus seuls un itinéraire facile mais très joli. C'est sans aucun doute pour des journées comme ça que l'on va en montagne.