08-07-2023
Mont Blanc
D
Polo
1

Je rejoins Polo, guide à saint gervais, à la gare du Fayet.
Il n'a pas changé ; un regard vif, une chevelure épaisse d'un brun ténébreux, des épaules de charpentier et des doigts de la taille de diots de savoie. Seule la barbe a blanchie un peu.

Les retrouvailles sont chaleureuses, comme à chaque fois.
Une fois le tunnel du Mont Blanc passé, la Peuterey attire l'oeil, cette arrête impressionne toujours au premier regard.

Le sentier pour Monzino débute par un brin de forêt puis rapidement se raidit. La nébulosité nous permet de ne pas trop souffrir de la chaleur, le rythme est tranquile.
La découverte de cet endroit m'émerveille autant qu'il m'impressionne.

Polo : "T'as vu c'est l'hymalaya ici !"

Un sentiment d'isolement et d'engagement se fait tout de suite ressentir.
La noire pointe vers le ciel telle une flèche de granite.
Une série de barreaux et d'échelles viennent troubler notre doux moment de contemplation.
C'est parti pour une petite via ferratt jusqu'à fouler la terrasse du refuge au bout de 2h.

L'heure du petit déj n'est pas encore fixée.
Polo : "T'en penses quoi toi?"
François : "On partira jamais trop tôt donc je suis pour le petit déj de 1h. Si on est ralentis à cause d'un mauvais regel, cela nous laissera un peu de marge."
Polo : "Ah je sais pas...! J'aimerai bien dormir aussi, un petit déj à 3 ça peut le faire aussi, j'en sais rien..."

Polo va finalement demander au gardien.
Le camarade : "Et toi tu prendrai à quelle heure le ptit déj pour la blanche?"
Le gardien : "1h"

Polo : " Ok, va pour une heure."

0h50, le réveil sonne.

Le début du sentier suit une genre de moraine, parfait pour se réveiller en douceur. Au bout de 40 minutes, les premiers névés viennent refroidir nos semelles vibram.
Nous mettons les crabes et nous voilà repartis en cramponnant dans une neige tout juste regelée.
On poursuit notre itinéraire tandis que le vent forcit de plus en plus. La rimaye passée, une partie mixte nous attend.

Le vent devient de moins en moins supportable. Des rafales régulières à plus de 60 km/h nous déséquilibrent et font voltiger la neige qui nous lacère le visage.
Après avoir passé la partie mixte, l'ancien bivouac Eccles se découvre doucement dans la pénombre.
Le vent est trop fort, nous filons nous réfugier dans cet abris de fortune. La porte d'entrée est matérialisée par une couverture qui se fait balayer par les rafales.
Une fois à l'intérieur, on peut souffler un peu et récupérer.
Polo : "Bon, on va temporiser ici et faire de l'eau chaude. ça va nous faire du bien."
François : "Oui, espérons que ça se calme."
Polo : "Si ça se calme pas, on pourra pas continuer l'ascension avec ce vent."
On sort les duvets, on s'envoie un bon petit verre d'eau chaude et chacun prend une petite banquette avec un peu de neige dessus.
L'intérieur est spartiate, il y a six couchettes microscopiques, des tas de neige sur le sol et toujours cette couverture qui se fait bringueballer par le vent. Ambiance.
Polo ne tarde pas à s'assoupir.
Au bout d'une heure et demie, on commence à se rééquiper doucement. Le vent semble s'être atténué légèrement dehors, on décide de poursuivre.
Si le bulletin météo est correct, ça devrait continuer à diminuer et laisser place à quelques éclaircies.

Polo s'élance dans une micro longueur au dessus de l'abri puis vers une traversée raide avec ces flocons qui nous piquent le visage.
Je m'aggripe fermement à mes deux piolets et les ancre profondément dans la neige pour ne pas me faire déséquilibrer.
La progression est éprouvante.
Une fois arrivés au col, on attaque tout de suite la désescalade d'un long couloir de neige qui penche bien.
Après avoir négocier ces quelques 300 m de couloir face à la pente, l'itinéraire part en traversée. On retrouve une position un peu plus confort en ancrant notre piolet jusqu'à la panne.
Nous sommes dans le jour blanc, le vent semble diminuer légèrement et parfois un tout petit rayon de soleil perce à travers cette masse nuageuse.
Arrivés au col de peuterey, le vent reprend de plus belle.

Polo : "Bon, on dépose le matos de bivouac et on file à la blanche. On aura au moins fait ça."
François : " Ok, après faudra creuser un trou pour s'abriter pour la nuit !"
Polo : "Hahahahaha !! Oui, faudra voir comment ça évolue !"
On dépose duvet, matelas, bouteille de gaz, rechaud, nourriture du soir et bâtons.
Le camarade repart à la trace en direction de la blanche. L'ambiance est incroyable : le ciel est noir, les nuages gris tourbillonent à grande vitesse et Eole est toujours furax.
Nous attaquons la face mixte de la blanche, tantôt piolet en main à crocheter ou piolet à l'épaule, à main nue.
Eole nous oblige parfois à stopper notre ascension pour ne pas être déséquilibré. Il fait froid mais le mental est fort, on continue, on progresse.
Après une bonne heure dans ce terrain technique, on débouche à une antécime. Le sommet de la Blanche apparaît.
Elle est si élégante ; élancée, effilée et loin de tout.
Nous poursuivons sur le fil de l'arrête sommitale. 15 minutes plus tard nous nous retrouvons dans un petit espace exigu.
Il y a tout juste la place pour nous deux, nous sommes au sommet de la Blanche de Peterey : comme dans un rêve.

Après ces quelques minutes de plénitude, la réalité nous rattrape: c'est l'heure de descendre.
Les rappels s'enchainent au fur et à mesure que les nuages se montrent moins menaçant. L'espoir renaît.
Arrivés au spot de bivouac à 12h45 après 11h de course, Eole semble s'assoupir peu à peu. Quelques rayons de soleil commencent à percer.
Polo : " ça a l'air d'évoluer dans le bon sens, on va pouvoir bivouaquer !"
François : " On a de la chance !!! "
Le camarade attaque le travail de chantier avec la pelle pour nous construire un bel abri tandis que je m'occupe d'aplanir le sol.
On se glisse ensuite rapidement dans nos duvets. Les nuages disparaissent peu à peu pour laisser place aux doux rayons du soleil qui nous réchauffent le coeur.

Au loin, la cordée d'italiens commence à descendre le couloir de neige que l'on a emprunté quelques heures auparavant.
Je contemple le paysage autour de moi avec le grand pilier d'angle en face de nous, notre premier objectif du lendemain.
La journée passe tranquillement, le vent s'est arrêté, le soleil est haut dans le ciel ; c'est une nouvelle journée qui s'offre à nous.
La cordée des trois italiens nous rejoignent et nous saluent chaleureusement. L'un deux emprunte notre pelle et commence les travaux de terrassement.
Arrive l'heure de faire chauffer de l'eau pour le repas du soir. Il est 17h.

Demain, des vents forts sont prévus l'après midi. Un départ matinal est de rigueur.
Blotti au fond du duvet, j'observe le ciel qui s'assombrit à mesure que le temps passe.
Polo, lui, est déjà dans un sommeil profond.

La nuit s'installe doucement, il n'y a pas un nuage dans le ciel, pas un bruit.
2h15, le réveil sonne. Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit.
Je m'extirpe lentement de mon duvet recouvert d'une fine pellicule de givre pendant que le camarade est déjà en train d'allumer le jet boil pour faire chauffer l'eau pour le thé.
Mes pieds retrouvent l'intérieur des grosses givrés. La sensation n'est pas très agréable. Les lacets sont raides, légèrement gelés par le froid. Polo me tend un verre de thé brulant que je bois doucement.
Mon corps se réchauffe, ça fait du bien.
Le casque sur la tête, la frontale vissée dessus et un piolet dans chaque main ; il est 3h, nous sommes prêts.

Nos amis Italiens sont encore blottis dans leur duvet et nous saluent d'une main endormie pendant qu'on attaque déjà le cône du couloir. Polo trace dans de la croute profonde. Il évolue efficacement et ne semble pas du tout atteint par ce labeur matinal de maçonnerie. De mon côté, malgré la nuit blanche, les sensations sont bonnes.
Les conditions sont parfaites et c'est incroyablement reposant de pouvoir évoluer au calme comparé à la journée de la veille.
Le passage de la rimaye, un poil athlétique, nous met définitivement dans la course.
Polo se faufile astucieusement à travers une partie mixte pour rejoindre le couloir de neige du grand pilier d'angle.

On évolue à bon rythme régulier.
Le jour se lève doucement et c'est à 50 m de l'arrête de Peuterey que l'on peut commencer à se passer de notre frontale.
A ce stade, il reste une pente suspendue que l'on gravit en corde tendue à 3 m l'un de l'autre. Il n'y a plus de possibilité de protéger.
Nous débouchons enfin sur le fil de l'arrête de Peuterey : grand moment.
Le sommet du grand pilier d'angle est au bout de cette arrête effilée et ourlée. Le ciel commence à rosir sur un fond noir, le tableau est juste digne des plus grands peintres.
Nous continuons sur le fil, c'est somptueux. Au bout d'une petite dizaine de minutes, nous voilà au sommet.
La cime est fine, nous y sommes à califourchon.
Le temps de prendre quelques photos pour immortaliser ce moment et nous voilà reparti en direction du Mont Blanc de Courmayer.

Nous reprenons une vieille trace sur le fil, armés de nos deux piolets.
A mesure que l'on grimpe, les faces de neiges aux alentours rosissent et s'enflamment. C'est un vrai feu d'artifice pour les yeux, on fait plusieurs courtes haltes pour immortaliser ce moment magique.
Sur la suite de l'itinéraire, la pente est toujours soutenue et la glace n'est pas loin à certains endroits.
La corde disparaît au bout d'un moment derrière un bombé de neige et hop on se retrouve au sommet du Mont blanc de Courmayer. Le vent nous cueille immédiatement et nous rafraichit tout de suite.
Nous repartons rapidement en direction du Mont Blanc. La température a chuté brutalement et nos doigts sont congelés.
Une fois la traversée négociée, nous arrivons au pied de la bosse sommitale. Le sommet du Mont Blanc est devant nous.
Il est 8h15, lorsque nous foulons le toît de l'Europe.
Une accolade chaleureuse est de rigueure.
Mais rapidement, on emprunte l'itinéraire de descente des 3 monts.

Et c'est au pas de course que l'on avale cette descente dans des conditions topissimes.
Une légère halte une fois le tacul passé, puis Polo me lance :
"La prochaine pause c'est au sommet de l'aiguille !"

Nous arrivons pas à pas jusqu'à la barrière, un bref coup d'oeil à la montre : il est 11h43.

Et c'est ici, dans cette grotte de glace, que l'ascension de la Peuterey prend fin.

Merci Polo, une fois encore!