11-08-2023
Mont Blanc
D
Polo
1

Je retrouve Polo au parking de l'intermarché. Il a l'air toujours aussi gaillard. Une fois la voiture déposée sur le parking du Grépon, on attend sagement notre chauffeur.
10 minutes plus tard, une voiture s'arrête devant nous. On salue Louison, grand guide de la compagnie de Chamonix, Pica guide et snowboarder de renom en pente raide dans la vallée de chamonix et Didier leur client.
Un honneur de pouvoir serrer la main à Pica, celui dont j'ai poncé toutes les vidéos.

Didier nous dépose non loin de la benne d'Hellbronner en Italie. La suite du trajet consiste à enchaîner 2 bus pour rejoindre Val Veny. En attendant la première navette,Polo sort son couteau et tranche les lanières de son sac qui lui semble superflues et lance : " Ce sera toujours du poids en moins."
Une fois arrivé à Val veny, on se reprend un petit sandwich dans la dernière auberge de la forêt. Puis, le sac est vissé sur notre dos et la montée vers Monzino débute.
L'aventure commence.

Les sacs semblent plus lourd que pour notre aventure à Peterey. Il n'y a pas un nuage, on a rapidement chaud. Le camarade est déjà torse nu. L'itinéraire n'a pas changé depuis la dernière fois. On retrouve Monzino avec son ambiance magique. Ce refuge perché en pleine face Sud du Mont Blanc. La noire de Peterey, la Pointe Gugliermina impressionnent toujours. Cette sensation d'isolement et d'hymalaisme dans ce versant de la montagne ne laisse pas indiférent. Le gardien nous donne de précieux conseils pour l'attaque de la face du lendemain.

19h, l'heure du repas sonne : pasta, polent, saucisse, haricots verts, poire chocolat. Un super diner.

Le réveil sonne, trop tôt, une fois encore.
Le petit déj contraste fortement avec le super repas de la veille. Là c'est biscotte bon marché et nutella. Une fois le thé engloutit, on enfile le baudard.
Polo fait un dernier chek up météo et m'indique que le lendemain il prévoit un temps nuageu en fin de matinée. Cela l'inquiète un peu.
4h30, on se met en route.

Il ne fait pas froid et rapidement on se surprend à évoluer avec une couche seulement. Le glacier est passé sans encombre. Les crabes sont mis seulement sur les cinquantes derniers mètres pour négocier la rimaye en sécurité. Les crampons sont rangés dans le sac et Polo attaque la première longueur. Il fait encore nuit noire.
C'est du bon 4 à l'ancienne, une grimpe raide et athlétique à dominante fissure dièdre où le rocher laisse clairement à désirer. Le poids du sac se fait bien sentir.
Au bout de cinq longueurs grimpantes, la pente se calme. Le jour se lève à peine.
On évolue sur ce terrain à 2m l'un de l'autre. Le terrain est facile, la progression rapide, efficace et physique. L'itinéraire louvoie beaucoup dans la face pour venir buter au pied de deux dernières longueurs qui nous amènent à la brèche. On en profite pour faire une micropause de 2 minutes avant de repartir sur l'arrête du brouillard proprement dite. Nous sommes seuls, absolument seuls. Autour de nous? Du rocher à perte de vue. La noire, l'arrête de Peterey en toile de fond : mythique. Le début de l'arrête est un terrain entre la marche et l'escalade dans un niveau second degré. Le rocher? Il est juste affreux, des piles d'assiettes empilées les unes sur les autres. Chaque pas est un danger potentiel.
L'arrête commence.

L'itinéraire enchaine des ressaults un petit peu grimpants, de la désescalade, l'ascension de tours au rocher abominable. La désescalade que l'on pourrait faire se fait par des petits rappels tellement le cailloux est mauvais.
Le cheminement nous fait passer également par des traversées raides mêlant terre et éboulis.
Après l'ascension de nombreuses tours, on arrive à deux emplacements de bivi et un névé non loin du sommet de la Baretti. Le chemin est encore long. Les crabes sont de la partie pour remonter une pente de neige. Puis, ils sont remis dans le sac. Peu avant le sommet de la Baretti, je reçois une bonne pierre dans le casque et 10 minutes plus tard une autre qui vient taper mon épaule gauche. On arrive enfin au sommet de la Baretti, soulagés.

Notre regard se porte sur la suite de l'itinéraire. L'arrête semble encore tellement longue... On attaque par désescalader la Baretti en suivant le fil où le rocher passe doucement de abominable à déguelasse.
Les crabes sont de nouveaux de sortie pour aller chercher une autre tour avant le sommet du brouillard. Le poids du sac se fait sentir de plus en plus.
Chaque pas, prise de main, pose de pied doit être calculé et mesuré. Cet exercice use mentalement et physiquement.
Une fois au sommet de la tour, c'est reparti pour les montagnes russes et on enchaine par un rappel pour aller traverser la face et reprendre le fil de l'arrête.
Le soleil est plus haut et on consomme beaucoup d'eau. Sur le fil, on fait une petite halte le temps de remplir notre gourde dans un mince filet d'eau de névé.
On prend l'eau là où il y en a. Il fait chaud, les sacs sont lourds et le rocher ABO. C'est bourrin, c'est exigent physiquement et mentalement.
Mais quelle ambiance sauvage ! Un sentiment d'isolement ressentit comme nul part ailleurs. Et c'est après 9h d'effort que l'on foule enfin le sommet du Mont Brouillard.

Notre soulagement est de courte durée. A peine notre regard s'est posé sur la face de la Louis Amédée que l'on se rend compte qu'il y a quelque chose qui cloche.
Des trombes d'eau courent dans la face avec un fort débit.
Les pentes suspendues fondent comme neige au soleil et créent des ruisseaux d'eau sur le rocher. Des pierres par ci, par là, dévalent et s'écrasent avec fracas. Notre perspective de sortir à la Louis Amédé aujourd'hui n'est plus dans les options.
On se pose, on réfléchit.
Polo est très inquiet et moi aussi. Par chance, on arrive à avoir du réseau.
Le camarade prend le dernier bulletin météo. Les perspectives de grand beau sont faibles. Il y a un créneau le matin mais les nuages seront de la partie en milieu de nuit et ensuite fin de matinée à partir de 3800m.
L'iso est redescendu à 4200 mais reste élevé. Si cela ne regèle pas bien dans la nuit, le risque de chute de pierre sera très important.
Dans le cas où l'on prend l'option de miser sur un regel et qu'au final il n'est pas au rendez vous, ce sera l'hélico. Le camarade réussit a appeler Francesco, un guide Italien expert de ce versant sud du Mont Blanc. Sa réponse est sans appel : "Polo, si vous pouvez, descendez."

C'est à ce moment là, que je commence à comprendre que le but va peut-être être acté ici ; au sommet du Mont Brouillard, au pied de la Amédée, au pied du 82 ème, de mon dernier 4000.
Cette décision est très dure à encaisser, cette décision est forte. J'ai à ce moment là le coeur lourd, très lourd.
Le sommet de la Amédé semble si proche, 2h30 de grimpe tout au plus nous sépare de la fin d'un long projet, d'un projet que certains qualifient comme le projet d'une vie.
Un bref coup d'oeuil à la montre, il est 13h. Il va falloir faire demi - tour maintenant si on ne veut pas appeler l'hélicoptère.
Revenir en arrière sur cette affreuse arrête après 9h d'effort est très rude mentalement.
10 minutes sont prises pour refaire de l'eau et remplir nos gourdes grâce aux petis névés et on se remet en route.

C'est avec un désarroi total, le coeur rempli de tristesse et la perspective d'une fin de journée de l'espace que l'on repart au charbon, en sens inverse.
L'itinéraire enchaîne désescalade, traversées, grimpe des rappels pour gravir les tours dans l'autre sens. Mon esprit a perdu le compte de l'enchaînement exact. Je me rapelle être arrivé au bivouac sous la Baretti. On a hésité à s'arrêter là pour dormir. Mais la suite était tellement puant que nous avons décidé que l'on devait essayer de passer cette partie délicate pour aller se poser au névé beaucoup plus bas. Fatigués, on reprend notre route.
La suite est toujours dans du rocher ABO, la course devient un véritable enfer.
Le soleil se couche petit à petit.
Le corps est usé, la tête aussi mais on continue d'avancer pas à pas. Un rappel est improvisé sur un béquet pour passer un mur de 20m. Une sangle sera laissée autour du bloc. Polo : " J'espère qu'il va tenir le con !!"
François : "Ce serait mieux oui !! :))"

Et c'est au bout de 6h30 de désescalade et de grimpe que l'on prend enfin pied sur le névé avec deux bons emplacements de bivi juste à côté.
Polo est très fatigué, je suis carbonisé. Il est 20h.
On prépare lentement nos spots de dodo et on se pose.
Le moral est au plus bas. Je bois une petite infusion aux fruits rouge, la tête baissée. Un regard triste vers le haut.
Maintenant je le sais, le projet ne se terminera pas demain, au sommet du Mont Banc comme je l'ai toujours rêvé. La fatigue et la tristesse me coupent l'apétit.
Quelques cuillères de semoule au raisin sec et je m'enfonce dans mon duvet, le coeur et les paupières lourdes.

Le lendemain, la journée s'annonce encore longue ; la vallée est encore loin.

Il est 5h, on se met en route.
Le terrain n'a pas changé et on enchaîne grimpe et désescalade de tours de rochers infâmes pour retrouver trois heures plus tard la brèche où l'on était sortis la veille.
La suite de l'itinéraire nous est inconnue car on choisit de passer par l'intégrale et donc de rester sur le fil de l'arrête jusqu'en bas.
Le rocher est un poil meilleur sur cette partie si l'on reste sur le fil. On retrouve le bonheur de grimper et désescalader des sections avec du bon caillou où les mains et les pieds tiennent. Malheureusement, l'itinéraire nous emmène aussi dans des faces où le mauvais rocher est de retour. S'en suit la désescalade d'un long couloir en pierre mouvante qui vient mourir sur un plateau. Enfin une partie un peu plate, ça fait du bien.

Mais rapidement, on attaque les pentes herbeuses raides à chamois qui nous demande de louvoyer à travers de multiples petites barres rocheuses et c'est au bout de 7h d'effort que l'on rejoint enfin un sentier de randonnée digne de ce nom.
Les jambes sont fatiguées, la pression retombe.
La suite est un sentier agréable jusqu'à Val Veny.
S'en suit l'enchaînement de deux navettes et la remontée de la file de voiture pour le tunnel du Mont Blanc.
Un jeune italien nous fait passer le tunnel jusqu'au parking du grépon.

L'aventure prend fin ici.

Le brouillard, c'est une course avec un engagement certain, sur un rocher de piètre qualité.
C'est une course où l'on retrouve une ambiance sauvage et isolée comme dans peu d'endroits dans le massif du Mont Blanc.
Esqu'on y retournera pour refaire l'intégrale proprement? Polo et François : "Jamais!"

Le retour fut incroyablement long, le brouillard en marche arrière n'est clairement pas une classique.
On s'en souviendra !!
Et ce, pendant un sacré bout de temps.

Merci Polo pour ces trois jours hors du temps, une fois encore !