09-10-2023
Mont Blanc
D
Un grand Monsieur
1

2 mois, jour pour jour, se sont écoulés depuis le Brouillard.
On devait tenter de finir le travail avec Polo, finir ce qu'on avait commencé.
Malheureusement, les conditions ne viennent pas et le jour où elles semblent être là, Polo a un empêchement auquel il ne peut déroger.
Je demande tout de suite à Nico qui fait aussi la quête des plus hauts sommets des Alpes. Je lui parle de ce projet un peu fou qui consiste à aller chercher la Amédée par le haut. Il n'est clairement pas chaud et me propose de retourner à l'intégrale avec lui mais je décline sa proposition sans hésitation. Je me retrouve seul.

Le temps passe, le créneau approche.
J'apelle la compagnie des guides de Chamonix en dernier recours. Ma proposition de course passe au tour de rôle. Personne ne la prend, jusqu'à ce que...
Mon téléphone sonne.
Je décroche.
"Salut Fançois, c'est Yannick Graziani. C'est moi qui vais surement aller avec toi. Je demande à un pote bulgare des infos sur la course car il l'a fait la semaine dernière par l'intégrale."
L'espoir renaît, mon coeur s'embrase.
François : " Ok, ça marche, si jamais le glacier ne passe plus, on peut y aller par le sommet du Mont Blanc !"
Yannick : "Ah oui j'y avais pas pensé, mais ce sera plus long."
Yannick : "T'as vu les photos que je t'ai envoyé? Le glacier est tortueux, on va devoir passer certaines crevasses en rappel ou autre."

Yannick Graziani, c'est l'un des plus grands himalayistes français qui a réalisé notamment une ouverture marquante en face sud de l'Annapurna ; c'est sûr qu'on a pas le même référentiel.

François : "Ouais ça peut être cool! Mais sinon on essaye par le haut non? C'est pas grave si c'est un peu plus long. :) "
Yannick : " ça marche, on se rapelle pour se confirmer la stratégie"
François : "Je vais dormir demain soir à l'abri Simond pour me faire une dernière piqure d'EPO. Je t'apelle quand je serai dans la benne."
Yannick : " Ca va François, à demain !"
Je me retrouve seul dans la dernière benne pour monter à l'aiguille. J'apelle Yannick.
Yannick : "Salut François, du coup t'as réfléchis? Moi je pense que c'est mieux qu'on essaye par le haut."
François : " Oui, la voie normale du Mont Blanc est en bonnes condis en plus !"
Yannick : "Ca va François ! Acclimate toi bien, à demain! "

Arrivé dans la grotte de glace, je rejoins deux alpinistes qui se préparent pour attaquer l'arrête de l'aiguille.
François : " Salut les gars, ça vous gène pas si je m'encorde avec vous pour passer le glacier? "
Lucas et Julien : " Pas de soucis !"
Je descend l'arrête et les attend au glacier. Il fait froid et le glacier est bien bouché avec une super trace. On se retrouve à l'abri Simond sans encombre.

La soirée est sympa, c'est le premier 4000 pour l'un d'entre eux.
Lucas et Julien : "On devrait revenir pour 09h30 demain à priori."
François : "Parfait, je met le réveil pour 09h alors :), bonne course les gars !"
Le lendemain, je me réveille à l'heure dite mais je vois personne dans le Tacul. 11h30, les voilà enfin revenus.
François : "Vous avez pousser jusqu'au Maudit en fait?!!"
Les camarades : " Non, non, on a du tracé le Tacul ça nous a prit un temps fou. Je suis en Y gros !"
François : " Bel effort camarade !"

Après être retournés à l'aiguille, on se pose autour d'un bon burger. Puis, les deux strasbourgeois repartent dans leur contrée.

Le lendemain, je rejoins Yannick à 12h30 sur la route des contamines.
Un honneur de serrer la main à l'un des plus grands himalayiste français.
Le gars a l'air tranquile. Casquette vissée sur la tête, une cordelette totalement à l'ancienne pour vacher son téléphone et hop on se dirige vers le col de Vauze à bord d'une petite voiture 4x4. Sur le trajet je ne peux m'empêcher de le questionner sur son ascension sur la face sud de l'Annapurna. Je l'écoute attentivement, un autre monde....
Arrivés à destination au col, on se répartit le matos et c'est parti pour 2000 de Dplus jusqu'au refuge du Goûter.
Yannick laisse son marcel sur un rocher et j'accroche mes chaussures de trail sur un câble métallique. Nous poursuivons notre marche jusqu'à passer le fameux couloir du goûter au pas de course.
Les éperons se passent sans encombre et nous voilà arrivés sur la terrasse de l'annexe de l'ancien refuge du Gouter.

La corvée de neige commence, après deux sacs remplis on est pas mal. Yannick me conte des histoires passionnantes sur ses expéditions, je me mets à rêver et comme me l'a souligné un très bon camarade, j'en oublie presque notre ascension du lendemain. :)
Une assiette de pâtes, charcuterie et hop on file au lit !
Yannick : "Tain, on va dormir dans le sas comme des clochards !"
François : "A l'ancienne !!!"
Après avoir superposer les matelas pour un peu plus de confort, on s'endort tout habillés de peur de choper la galle. Les conditions de propreté laissent clairement à désirer ici. Beaucoup de choses se bousculent dans ma tête, ça tourne à 4000 à l'heure, j'ai du mal à trouver le sommeil.

5 heure, le réveil sonne.

On s'envoie une petite infusion pendant que du monde s'affaire dans le hall matos. Des cordées parties de Tête rousse, d'autres de Bionassay font une petite halte ici avant de partir pour le push final.
Un groupe de parapentiste ont attaqué du bas et ont pour objectif de voler du sommet, à priori les conditions sont optimales. Une pensée au camarade Oliv, forcément.

Il est 6h et nous voilà dehors, le premier coup de crampons est donné. La journée commence.
Dans ma tête, je n'ai rien laissé au hasard, je sais que l'ascension débutera vraiment à Courmayer, le premier step au Mont blanc est de la gestion d'effort.
Il ne fait pas froid, il n'y a pas un nuage dans le ciel et je suis encordé avec Yannick Graziani. Au mental, je n'ai jamais été aussi haut.
Les conditions de la voie normale du Mont Blanc sont parfaites. Une superbe trace et pas un gramme de glace. J'avais emprunté cet itinéraire il y a maintenant 14 ans de cela avec mon père. Je l'imagine marcher avec moi, je me perds dans mes pensées. Nous évoluons tranquillement, tout en gestion et au bout de 3h30 d'effort, nous voilà au sommet du Mont Blanc.
Le paysage se découvre, l'arrête du Brouillard se dévoile.

Yannick " ça a l'air engagé, on ne sait pas dans quoi on se lance là !"
Je pense qu'il plaisante mais à priori non, c'est sa réaction à chaud.
De mon côté, engagé ou pas, journée de l'espace ou pas, pas grand chose pourra me déstabiliser aujourd'hui.

On attaque la descente vers Courmayer avec des traversées en glace pour contourner certains éperons. On reprend rapidement le fil et la désescalade en mixte débute. Le rocher est moyen et l'arrête est effilée.
Ce n'est jamais très agréable d'entendre le bruit des pointes métalliques racler le rocher. Des ressaults plus raide viennent nous réveiller et nous obligent à poser un rappel. Yannick m'initie sur la descente en rappel sur un friend.
Nous le récupérerons lors de la remontée. C'est une pratique engagée en alpinisme mais si le friends est bien mis, il n'y a pas de raison que ça parte en toupie. L'arrête devient sèche, on peut enfin retirer nos crabes.
Quel bonheur d'évoluer sans ces bouts de métaux aux pieds. Le rythme s'accélère, on est plus efficace. Après quelques traversées et rappels sur friend, friend coincé et sangle autour de béquets, la Louis Amédée se découvre peu à peu.
Une grande ambiance sauvage règne sur cette arrête du brouillard, la vue plongeante sur le versant Italien est de toute beauté. La sortie de l'Innominata se découvre, le refuge Monzino tout au fond, la Peterey, le glacier du Brouillard tourmenté est toujours un spectacle aussi grandiose qu' impressionnant. Les souvenirs resurgissent...
Nous traversons des passages en rochers très instables pour revenir sur l'arrête. La Amédée se rapproche.
Après un dernier rappel, nous arrivons au pied du but.
Yannick : " Dans 15 minutes on est en haut, on peut laisser nos sacs là."
François : "J'y crois pas... ok, on fait ça !"
Yannick part dans les dernières longueurs et je le suis en corde tendue. Le rocher est correct ici, et on alterne avec des passage en mixte. Je réalise que la Amédée est proche. Après un petit bombé en mixte négocié nous voilà enfin au sommet de mon dernier 4000, du 82 ème.

Je m'attendais à une explosion de joie, à quelque chose de fort mais bizarrement je me sens très heureux mais c'est contenu. Je garde petetre de la concentration pour la suite, car on doit tout de même remonter au Mont Blanc.
Une grande accolade et une bise avec Yannick est de rigueur. J'envoie un message à Claire pour acter ce dernier sommet.
Après 10 bonnes minutes de contemplation, nous attaquons la remontée vers Courmayer. Nous nous octroyons une pause après le rappel au niveau de nos sacs. Pomme, orange, jambon cru, crocos, on se régale.
Nous repartons ensuite sur cette arrête du Brouillard dans le bon sens et avec le coeur léger cette fois. C'est beaucoup plus sympa dans cette direction.
Nous prenons au plus raide en grimpant dans du bon rocher rouge parfois. Le rocher est chaud, nous évoluons sans gants, c'est agréable.
Après avoir récupéré tout le matos, on remet les crabes pour rejoindre le Mont Blanc de Courmayer. Cette fois, pour éviter les traversées en glace, on grimpe chacun des quatre petits ressaults pour rester sur le fil.
Une fois ces petits pics passés, le sommet du Mont Blanc est devant nous. A présent, l'émotion monte à mesure que nous évoluons sur ce dôme de neige. La forme est toujours bonne, la préparation a été optimale.
Il reste quelques mètres, puis plus rien....
Il est 16h, nous sommes au sommet du Mont Blanc. Je ne vous cache pas que l'émotion est forte à présent.
14 ans auparavant je gravissais le Mont Blanc par la voie normale avec mon père, notre premier 4000. Aujourd'hui l'aventure se boucle au même endroit après avoir gravi le dernier 4000. Comme dans mes plus beaux rêves.
Je prends mon téléphone et apelle mon père.
François : " Salut Papa, je te dérange pas? Tu fais quoi de beau?"
Papa : " Tu me déranges jamais ! Je suis en train de lire un livre sur la physique cantique avec Etienne Klein tu sais je t'en avais parlé et puis aussi les ondes dans le médical et .............
5 minutes plus tard.
François : " Papa, je voulais te dire quelque chose."
Papa : " Oui dis moi, quesqu'il y a?"
François : " Je suis au sommet du Mont Blanc Papa, on revient de la Pointe Louis Amédé. C'est fini P'pa, on a réussit."

Quand j'étais plus jeune, mon père, professeur de Physique/Chimie (comme ma mère) me disait toujours : "Si tu veux réussir un examen de Mathématiques ou de Physique (les autres matières il s'en foutait), il faut que tu fasses, au minimum, tous les exercices du chapitre.

Au sommet, je lui brandis une photo en lui écrivant : " Papa, tous les exos du livre ont été faits. 14 ans plus tard, on se rapelle encore du premier, le plus beau, à jamais."

Après avoir immortalisé ce moment singulier, nous reprenons la descente du Mont Blanc jusqu'au Gouter avec beaucoup de légèreté.

Arrivé à destination, il est 18h, soit après 12 heures d'effort.

Au refuge je n'arrive pas encore à réaliser que c'est fini, j'envoie des messages à la famille et aux camarades qui ont suivi de prés ou de loin ce projet un peu fou de gravir tous les plus hauts sommets des Alpes.
Le sommeil est de nouveau difficile à trouver.
La descente du gouter le lendemain se passe sans encombre, à la fraîche.

C'est au col de Vauze que l'aventure prend fin.

Ce projet que certains qualifient comme le projet d'une vie s'achève comme dans mes plus beaux rêves ; au sommet du Mont Blanc, dans des conditions exceptionelles, encordé avec un grand Monsieur, aux portes de l'hiver.
Je ne pouvais pas espérer mieux.

Les prévisions métérologiques ultérieures tendent vers le mauvais, la montagne va bientôt revêtir son manteau, jusqu'à la prochaine.

Clap de fin.

Merci Monsieur Graziani.


PS :Yannick me disait qu'il était en Rave Party au sommet de l'Annapurna et moi j'étais en Rave Party rien que le fait d'être encordé avec Yannick.

PS : Si on lit prochainement un compte rendu d'ouverture en Hymalaya de Yannick, ce sera à coup de crocos, j'en suis sur! Il me les a tous bouffé quasiment :)))) Tu vois Juju, tes petites bêtes poursuivent leur chemin ! ;)

PS : Cette course nécessite une acclimatation à ne pas prendre à la légère sachant que l'on doit fournir un effort de 9h (ou moins si t'es plus rapide) entre 4400 m et 4805 m d'altitude.

PS : "Night Naked Style" c'est ce que me racontait Yannick sur le style de grimpe de certains Polonais, autant vous dire sans détour que c'est un style d'ascension extrèmement engagé et clairement à l'ancienne !!!